Un serment pour les médecins qui fait des émules
Doctors and nurses talking by window in hospital

Un serment pour les médecins qui fait des émules

Lors d’une cérémonie en juin dernier, une quarantaine de médecins fribourgeois ont prêté «Le serment suisse», version actualisée de celui d’Hippocrate et de la Déclaration de Genève. Cette initiative est appelée à se renouveler ailleurs en Suisse et fait même des émules à l’étranger.

A quoi bon renouveler un serment vieux comme la médecine et pourquoi maintenant? Cette mesure veut, notamment, contrer la tendance commerciale de la médecine. Alma&Georges vous propose un triple éclairage avec le Prof. Bernhard Egger, médecin-chef du service de chirurgie HFR et co-auteur du Serment suisse, le Prof. Jean-Marie Annoni, président du Département de médecine de l’Université de Fribourg, consultant neurologiste aux hôpitaux HFR et CHUV, et PD Dr. Martina King, Professeure ordinaire en Medical Humanities à partir du 1er août 2018 à l’Université de Fribourg.

Qui est à l’origine du Serment suisse?
Bernhard Egger: L’idée est venue de l’Institut Dialog Ethik à Zurich, qui m’a demandé, ainsi qu’à d’autres personnes, si cela m’intéressait de participer au groupe de travail composé de philosophes, éthiciens, économistes et de professionnels de la santé, occupant des positions de premier plan dans leurs disciplines respectives. Lors de la réunion constitutive, il y a cinq ans, j’avais trouvé la réflexion tellement intéressante que j’ai accepté, peu à peu, de devenir un des ambassadeurs principaux du Serment suisse.

Est-ce pour cette raison que la première assermentation a eu lieu à Fribourg?

Bernhard Egger: Oui. C’est lié à ma position de médecin chef à l’HFR, mais aussi à d’autres fonctions que j’assume dans des sociétés médicales. Je suis notamment vice-président de l’Association suisse des médecins avec activité chirurgicale et invasive (FMCH), qui a aussi soutenu cette démarche.

Jean-Marie Annoni: Je n’ai pas participé à la préparation, mais quand j’ai su que cette petite cérémonie aurait lieu, j’y ai pris part avec plaisir et j’ai moi-même prêté serment.

Y aura-t-il une suite dans d’autres cantons, d’autres établissements médicaux?
Bernhard Egger: Oui, car le Serment suisse est destiné à être implémenté le plus largement possible. La prochaine cérémonie d’assermentation aura probablement lieu au sein du comité de la FMCH. Plusieurs hôpitaux publics, et même des cliniques privées m’ont déjà demandé les dossiers d’adhésion. Nous avons aussi suscité un grand intérêt dans d’autres pays, Allemagne et Pays-Bas en particulier. En ce qui me concerne, je peux déjà vous dire que je n’engagerai à l’avenir que des médecins qui auront prêté le Serment suisse dans notre clinique.

Le Serment d’Hippocrate avait déjà été actualisé dans le Serment du médecin ou la Déclaration de Genève de septembre 1948, qui a d’ailleurs été mise à jour en 2017, lors de la 68e Assemblée générale de l’Association médicale mondiale. Quelle est la raison de cette évolution?
Martina King: Im Nürnberger Ärzteprozess 1946/47 beriefen sich sowohl Ankläger wie Angeklagte auf den hippokratische Eid, er erwies sich insofern als nutzlos. Man erliess mit der Genfer Deklaration einen Eid, der insbesondere das damals drängendste Problem aufgriff:  Alle Patienten sollen, unabhängig von Religion, Nationalität und Rasse, gleich behandelt werden.

Pourquoi y a-t-il besoin aujourd’hui d’un nouveau serment? Les autres étaient-ils caducs?
Bernhard Egger: Pas du tout. En l’état actuel, le Serment suisse présuppose l’adhésion au Serment d’Hippocrate et à la Déclaration de Genève. Mais la plupart des médecins ne connaissent plus le contenu de ces textes. Ce sont des papiers qu’ils reçoivent avec leur diplôme, mais ne lisent pas. De plus, ces deux promesses, en dépit d’éléments qui sont toujours valables, ne sont plus à jourdans leur ensemble. La médecine progresse beaucoup sur le plan technique, mais l’éthique médicale reste à la traîne. Le Serment suisse propose une adaptation concrète à la réalité, surtout en adoptant une position claire face aux enjeux financiers de la médecine qui ne garantissent plus la bonne protection de tous les patient·e·s ni des médecins d’ailleurs.

Jean-Marie Annoni: Lors de la remise de mon diplôme de médecin, en 1981, je n’ai pas le souvenir d’avoir dû prêter serment explicitement. A l’époque, on insistait sur le respect des principes d’Hippocrate, mais les progrès de la médecine et l’évolution de la conception de la santé ont rendu la stricte observance du serment d’Hippocrate plus compliquée. Le choix de prononcer à nouveau un serment et de le valider par sa signature rend l’engagement explicite, tandis que les devoirs du médecin sont habituellement implicites. C’est cet engagement explicite, sur une base volontaire, que je trouve le plus intéressant dans le Serment suisse.

Martina King: Der hippokratische Eid war in der Antike weitgehend unbekannt, wir wissen weder wann noch von wem er verfasst wurde. Der Eid erhielt erst in der Renaissance Bedeutung, wurde aber nur an wenigen Orten geschworen. Seine Aktualität ist umstritten, da er schwierig zu interpretieren ist und Bestimmungen enthält, die unseren Vorstellungen zuwider laufen, z.B. die Bestimmung, medizinischen Wissen nur mit Schülern, sonst aber niemandem zu teilen; ferner das Verbot, Steine zu schneiden, mit anderen Worten chirurgisch tätig zu sein.

En quoi ce Serment suisse inauguré à Fribourg est-il original par rapport aux déclarations précédentes?

Martina King: Der Schweizer Eid ist insofern innovativ, als er zentrale Aspekte des hippokratischen Eides, die auch in der neuesten Fassung der Genfer Deklaration von 2017 noch enthalten sind, nicht enthält, nämlich Respekt vor dem Leben, Schweigepflicht und den Hinweis auf die Standesehre. Stattdessen findet erstmalig der Faktor ‚Zeit’ im Umgang mit dem Patienten Erwähnung, ein sicherlich sehr aktueller und wichtiger Aspekt. Neuartig ist ferner, dass  hier sehr konkret das Verbot des finanziellen Gewinns durch Überweisungen formuliert wird. Weit expliziter als in der Genfer Deklaration wird gefordert, dass persönliche finanzielle Interessen bei ärztlichen Entscheidungen keine Rolle spielen dürfen.

Bernhard Egger: Un des points les plus importants est celui qui exige que les médecins traitent leurs patients de la même manière qu’ils traiteraient leurs proches ou eux-mêmes, ce qui implique d’agir dans toute situation pour le bénéfice du patient et non pas pour servir des plans de carrière ou des intérêts économiques.

Quels sont les intérêts économiques qui entrent aujourd’hui en conflit avec la pratique médicale?
Bernhard Egger: Le plus grand problème actuellement, c’est l’énorme pression financière qu’exercent des institutions – non seulement privées, mais aussi publiques – sur les médecins, par exemple dans le but d’augmenter leur chiffre d’affaires ou de réduire leurs dépenses. Cela ne concerne pas seulement le sur-traitement, mais aussi le sous-traitement. Par exemple, il est impossible d’expliquer une opération du pancréas à un patient en vingt minutes, d’après la limitation du temps de consultation de base décidée par le Conseil fédéral. Cela mènerait à une baisse de la qualité de la prise en charge des patient·e·s. Le Serment suisse oblige d’y consacrer le temps nécessaire. Or, ce n’est pas vraiment dans l’intérêt économique de l’hôpital qui emploie le médecin, vous comprenez? Dans certains établissements médicaux, il existe des contrats stipulant que le salaire des médecins dépend du chiffre d’affaires qu’ils génèrent. Le Serment suisse a précisément pour but principal d’éviter que la médecine devienne un pur business.

La problématique du médecin «intéressé» est vieille comme la médecine, Hippocrate en parlait déjà. Alors pourquoi réagir aujourd’hui?
Jean-Marie Annoni: Parce qu’il est important de reformuler cette exigence éthique de manière formelle. Ce serment peut compléter de manière intéressante l’engagement que nous prenons déjà vis-à-vis de notre conscience et des directives et recommandations de la Commission centrale d’éthique de l’Académie suisse des sciences médicales. Toutefois, je ne voudrais pas que cela mène à une sorte de certificat de qualité ISO 9001!  Une prestation de serment ne fera pas de meilleurs médecins, qualité qui demeure individuelle. Je pense personnellement que cette assermentation doit rester libre et volontaire, c’est l’une de ses premières qualités.

Bernhard Egger: Dans l’idéal, cette déclaration devrait être soutenue aussi par les institutions, afin de créer une base morale commune à toutes les parties. Par exemple, si une institution demande à un médecin ayant prêté serment de signer un contrat exigeant de générer un chiffre d’affaires, ce dernier pourrait légitimement refuser en invoquant le serment. C’est une protection à deux composantes, non seulement et d’abord pour les patient·e·s, mais aussi pour les médecins. La réussite de ce projet dépendra de son implémentation à grande échelle.

Certaines thématiques au cœur du serment d’Hippocrate, mais qui nous concernent toujours, comme l’éthique face à la vie ou la mort (suicide assisté, interruption de grossesse, manipulations génétiques, utilitarisme de certaines conceptions bioéthiques), ne sont pas du tout évoquées dans le Serment suisse. Pourquoi?
Jean-Marie Annoni: Le serment énumère des principes de bonne conduite. J’imagine qu’il a fallu trouver un consensus parmi les différents avis et sensibilités. Au lieu d’entrer dans le débat de valeurs autour de la vie et de la mort, cette déclaration accorde la priorité au bien-être des patient·e·s, à la qualité de vie, au traitement des personnes sans discrimination aucune. L’information aux patients est aussi mise en avant. C’est une problématique que j’ai, lorsque je dois décider d’annoncer des maladies neurologiques sans traitement connu, comme Alzheimer, ou Charcot… Est-il éthique de l’annoncer avant ou après l’apparition des effets irrémédiables? Faut-il soigner le cancer d’un patient atteint de démence avancée? Faut-il débrancher un patient en état de mort cérébrale? En Suisse, les bases légales relatives à la plupart de ces problématiques sont en place. Ce Serment suisse nous permet de respecter ces principes en nous adaptant concrètement à l’évolution de la société.

Bernhard Egger: Je crois que ces thématiques sont mieux à leur place dans la loi sur les professions médicales (LPMéd) et dans le Code de déontologie de la Fédération des médecins suisses (FMH). Le Serment suisse, qu’on peut aussi qualifier de promesse solennelle, a une valeur constitutionnelle mais pas légale. En revanche, il se positionne clairement par rapport aux pressions concrètes que les médecins subissent aujourd’hui. Hormis les pressions financières directes, déjà mentionnées, je peux aussi citer en exemple les normes administratives de qualité imposées par l’Etat, qui grignotent toujours plus de temps et de ressources qui sont soustraits ensuite aux patient·e·s.

La conception hippocratique de l’être humain considéré dans sa totalité existentielle, physique et psychique, corps, âme et esprit, est-elle devenue obsolète à l’ère de la médecine spécialisée et de la complexité technologique?
Martina King: Keineswegs, ganz im Gegenteil: Im Angesicht einer technokratischen Hochleistungsmedizin, die auf den Körper konzentriert ist und bei vielen Patienten Desorientierung auslöst, ist es wichtiger denn je, dass wir ein integratives, ganzheitliches Personenkonzept im Blick behalten.

Jean-Marie Annoni: Je suis sensible à cette remarque, puisque le Master qui va être mis en place dans notre Faculté mettra l’accent justement sur la santé de l’être humain considéré dans son ensemble. Par la suite, ce diplôme, reconnu dans toute la Suisse, laissera la possibilité à quelqu’un de faire une spécialisation dans n’importe quelle branche médicale. Je ne pense pas que la spécialisation et le développement technologique contredisent la vision d’une humanité dans son ensemble; c’est un équilibre à trouver. Le Serment suisse l’évoque, mais peut-être pas assez explicitement, en disant que les médecins doivent travailler «dans les limites de leurs compétences» et en partageant leurs connaissances et leur expérience avec leurs collègues.

Ce Serment suisse pourrait-il concerner les carabins fribourgeois? Sera-t-il proposé aux futurs diplômés de Master avec orientation médecine de famille de l’Université de Fribourg?
Jean-Marie Annoni: C’est une question à envisager. J’aimerais discuter de cette option avec mes collègues, en particulier les responsables des humanités médicales. Dans la formation médicale de l’Université de Fribourg, nous développons bien sûr les questions éthiques de la santé. Mais nous n’avons pas eu pour but jusqu’alors de former des médecins: nous préparons les étudiant·e·s à la seconde partie de leur cursus. La question de l’assermentation ne se pose pas vraiment au niveau du Bachelor. Cela va peut-être changer avec l’arrivée du Master dès l’automne 2019.

Bernhard Egger: Je n’exclus pas cette possibilité. Pourquoi ne pas faire de l’Université de Fribourg la première qui intègre cet engagement moral? Néanmoins, je pense que le Serment suisse fait d’abord sens pour les praticiens et que l’exemple doit venir des cliniciens eux-mêmes dans un premier temps. Les étudiant·e·s sont encore loin de la relation avec les patient·e·s qui se trouve au cœur du serment. Celui-ci devrait être proposé chaque fois qu’un médecin signe un contrat de travail, et renouvelé lors de chaque changement de place de travail. J’aimerais que l’assermentation se fasse comme elle a eu lieu à Fribourg, lors d’une cérémonie solennelle et festive en même temps, pour que cela marque, un peu comme un rituel de passage.

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Jean-Christophe Emmenegger est rédacteur indépendant. Après sa licence en lettres obtenue en 2005, il séjourne une année en Russie, où il débute le journalisme. Auteur d'études historiques et littéraires sur les relations Suisse-Russie, il publie en 2018 aux Editions Slatkine Opération Svetlana, un livre qui révèle en détail les six semaines que la fille de Staline avait passées en Suisse après sa fuite d'URSS en 1967.

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