La graine de la vulgarisation pousse au Jardin

La graine de la vulgarisation pousse au Jardin

Les mots «sépales», «étamines» et «stigmates», ça vous parle? Certains se souviendront peut-être de leurs années d’école où l’on apprenait les noms des parties d’une fleur. Le Jardin botanique de l’Université de Fribourg propose justement un atelier et un nouveau livre pour rafraîchir ces notions et s’aventurer sans crainte dans la jungle jargonneuse de la botanique.

Originalité de ce cours grand public intitulé «sépales, pétales… t’es pâle?», celui-ci mêle regard scientifique et connaissances traditionnelles. En somme, la science de l’universitaire et celle du druide. L’atelier se déroule sur six rencontres, de mars à juin, animées par le biologiste Yann Fragnière, collaborateur scientifique au Jardin botanique, et le droguiste-herboriste Emanuel Roggen. Avec quinze participants inscrits, le cours affiche déjà complet. «Et nous avons déjà une liste d’attente», ajoute Yann Fragnière.

Un succès qui, selon lui, s’expliquerait en partie par l’air du temps. L’aspiration, chez certaines personnes, d’un retour à la nature. Le cours s’adresse en particulier aux amateurs qui veulent aller plus loin. «La plupart des livres de reconnaissance des plantes pour le grand public se basent sur la couleur des fleurs, explique Emanuel Roggen. Or à partir d’un certain stade, on remarque qu’il manque souvent la clé de la reconnaissance par familles pour se repérer.»

Le jeu des 450 familles
Cette précieuse connaissance des familles de plantes – il en existe environ 450 dans le monde – permet non seulement de reconnaître les végétaux toute l’année, mais aussi d’ouvrir le Flora Helvetica, l’ouvrage de référence sur la flore suisse, sans se sentir désemparé. On apprendra par exemple que le chou, le colza et la moutarde appartiennent à la même famille, les brassicacées. Ou que les dernières recherches ont montré, grâce à l’ADN, que la véronique et le plantain, deux plantes d’allure pourtant très différente, appartiennent toutes deux aux plantaginacées.


Emanuel Roggen (à gauche) et Yann Fragnière dans leur salle de cours. © Jardin botanique

Concrètement, ces cours reposeront surtout par l’observation d’échantillons et de quelques-unes des 5000 espèces de plantes qu’abrite le Jardin botanique. «Cela doit rester pratique», souligne Yann Fragnière. «Il s’agit d’offrir des outils de base pour que ceux qui le désirent puissent continuer d’approfondir de manière autonome.» Deux excursions sont également prévues.

Pour Yann Fragnière, la connaissance des espèces est un préalable essentiel à la préservation de la nature, un aspect qui lui tient à coeur. On retrouve cette idée dans l’ouvrage de vulgarisation, Connaissances botaniques de base en un coup d’œil, qu’il a conçu  avec Nicolas Ruch, Evelyne et Gregor Kozlowski. Riche en photos et illustrations, ce livre, avec ses quarante familles de plantes recensées, servira de support pour le cours. «Nous avons voulu proposer quelque chose de léger, qui donne envie de s’initier à ce monde-là», explique Yann Fragnière.

Sur les pas du druide
Si l’art de classifier les plantes remonte à l’Antiquité, la connaissance de leurs usages est tout aussi ancienne. C’est ce pan du savoir, populaire et culturel, qu’apportera au cours Emanuel Roggen. «Je n’ai jamais été très scolaire», dit-il volontiers. Mais ses connaissances, que ce droguiste et herboriste tire de sa formation comme de son expérience du terrain, n’en sont pas moins solides. Comme son père Claude Roggen le faisait déjà avant lui depuis une quarantaine d’années, Emanuel Roggen guide des groupes dans la nature lors de randonnées botaniques. «C’est important d’aller voir, de toucher et de sentir, d’apprendre par l’expérience», explique-t-il. Le droguiste considère comme «mythologiques», les récits que se racontent les hommes au sujet des plantes.

Le millepertuis est ainsi appelé l’herbe de la Saint-Jean, car nombre de ses caractéristiques renvoient au saint martyr, mort décapité selon le récit biblique. Intéressant lorsque l’on sait que cette plante permet de soigner les blessures et les coupures. Ces histoires, qui permettent d’ancrer le savoir dans l’oralité, comportent toujours trois aspects selon Emanuel Roggen: l’histoire de la plante, les manières de la reconnaître, et celles de l’utiliser.

Pour lui comme pour Yann Fragnière, les approches scientifique et traditionnelle se complètent. Alors que le premier souligne que la science permet aujourd’hui de connaître les effets des plantes par une analyse de leurs principes actifs, le second souligne que l’approche populaire aide aux personnes à s’identifier. «Il y a souvent un fond de vérité derrière les savoirs traditionnels», dit Emanuel Roggen.

Et ce dernier d’insister sur le risque d’une perte de ce savoir. «On a aujourd’hui des personnes qui s’intoxiquent avec du sureau noir, parce qu’elles ont oublié ce que nos grands-parents savaient. A savoir qu’il faut toujours cuire les baies avant de les manger.»

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Pierre Koestinger est journaliste indépendant.

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