Un dessin chaque jour que Dieu fait

Un dessin chaque jour que Dieu fait

Kristen fait tout sur le tard! Non contente d’avoir repris des études à l’UNIFR presque 20 ans après avoir obtenu un Bachelor en psychologie, cette maman américaine est tombée récemment dans la BD. Comme tous les convertis de frais, elle s’y consacre avec un zèle de dévot.


Il est très probable que vous l’avez déjà rencontrée dans l’un ou l’autre troquet de Fribourg, dessinant à sa table, cernée d’une trousse de crayons, d’un coffret d’aquarelles, d’un cahier et d’un café latte. Bien qu’elle ait toujours griffonné, Kristen s’est véritablement mise au dessin il y a six ans sur l’injonction d’un ami qui la pousse à se lancer dans une sorte de carnet intime en bandes dessinées. «Je pensais le faire durant un mois mais j’ai été complètement hooked», s’extasie-t-elle. Depuis, elle dessine compulsivement et, que cela reste entre nous, on la soupçonne même de le faire en classe: «J’ai noirci plus de 1000 pages si je compte tout mon travail. Yeah! I draw a lot!»

Draw my life
L’essentiel de son inspiration, Kristen Curtis le puise dans son quotidien d’étudiante et de mère. En reprenant un Master en littérature anglaise à l’Université de Fribourg, elle s’est parachutée dans le temps et l’espace – elle a 20 ans de plus que ses camarades et vient d’un continent lointain – et porte sur sa nouvelle vie le regard distant d’une anthropologue en terres exotiques. «Tout est différent: mon âge, le pays, le système éducatif et la langue. J’ai décidé de tout recommencer et de tout redécouvrir sans a priori!» Une sorte d’ethnographie participative dont elle passe quotidiennement les observations au crible de son art: «I process everything through my diary!»
Il s’agit là sans doute aussi d’une forme de catharsis pour cette artiste que l’on devine timide derrière son exubérance américaine. Anglophone dans un cours de littérature anglaise, elle frémissait à l’idée de ne pas avoir le niveau de langue nécessaire ou, pire encore, de ne pas pouvoir satisfaire les attentes à son encontre: «J’avais peur qu’on me dise « You should know this! You should get it right!» Mais, ces craintes une fois balayées, elle a pris goût à ses études qui lui ont notamment permis de redécouvrir le revêche poète médiéval Geoffrey Chaucer, guest star de son carnet intime: «Il y incarne la voix de la raison, il modère mes craintes et me permet d’être moi-même».

La palette de Kristen
Kit de dessin: une table, des crayons et un café.
Le poète anglais Chaucer s’invite souvent dans les pages de Kristen. #bythebonesbtb Chaucer
Chaucer chat
Une œuvre sans texte «pour dépasser la barrière des langues» présentée au Fumetto Comics Festival.
Parfois désemparée par le français, Kristen couche sur le papier ses mésaventures.

 

L’inspiration, un jaillissement
Quand elle couche une idée sur le papier, elle n’y revient plus: inspiration, crayon, encre, aquarelle, presque jamais de coups de gomme. Tout juste songe-t-elle à ne pas écorner ses camarades, sa matière première, qui découvrent parfois ses œuvres à son insu. «Je ne fais rien qui soit de nature à blesser quiconque, avoue-t-elle, et rien surtout qui puisse faire honte à ma fille de 8 ans.»
Pour l’heure, elle est une dessinatrice du réel et ne s’est encore que peu frottée à la fiction. C’est peut-être le revers de la médaille du carnet intime: s’il permet d’éviter l’angoisse de la page blanche, il accapare en revanche toute l’énergie créatrice. Plutôt que de mener études et dessin en parallèle mais séparément, elle est parvenue à faire converger ces deux passions au sein d’un seul et même séminaire: «J’ai rendu un papier sous forme de comics, mais n’allez pas croire que c’était une solution de facilité, se défend-elle, cela m’a pris 60 heures!» Un coup d’essai qu’elle souhaiterait transformer à l’occasion de sa thèse de master, car elle est convaincue qu’il y a de la place pour le neuvième art dans le monde académique.
Ce goût de l’expérience, de la transgression, toute policée qu’elle soit, Kristen jure ses grands dieux qu’elle ne l’avait pas alors qu’elle était étudiante au Berry College, dans l’Etat de Géorgie. Au rebours de nos préjugés, elle se l’explique par la mentalité suisse qu’elle estime plus favorable à la prise de risque qu’aux Etats-Unis. Face à notre étonnement, elle se ravise: «C’est probablement le privilège de l’âge aussi, puis d’ajouter songeuse, rompre les amarres nous aident certainement à être plus libre». Plus libre pour oser sortir du cadre que la vie nous impose. Tout le contraire de la BD, en somme.

_________

Les derniers articles par Christian Doninelli (tout voir)

Author

The long and winding road! Après un détour par l'archéologie, l'alpage, l'enseignement du français et le journalisme, Christian travaille depuis l'été 2015 dans notre belle Université. Son plaisir de rédacteur en ligne? Rencontrer, discuter, comprendre, vulgariser et par-ta-ger!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *