Cette année, le Concours littéraire prime trois candidat·e·s pour leurs textes en français, allemand et italien. Avec En flairant l’indicible, Martin Morend, étudiant en philosophie, est le gagnant pour la langue de Molière.
Félicitations pour votre prix. Qu’est-ce que cela représente pour vous? Pourquoi vous être présenté à ce concours?
C’est une forme d’encouragement qui est le bienvenu, à la fois sous une forme symbolique, certes, mais financière également. J’aurais eu de quoi me payer du pain noir pendant six bons mois, ce qui n’est pas rien pour nous autres écrivains. Mais croyez-le ou non, j’ai dû donner le tiers de cette somme à mon frère pour qu’il puisse acheter deux nouveaux pneus, et un autre tiers à mon père pour de l’anti-limace! Ce qui fait qu’au final, j’ai du pain seulement pour un mois… (rire nerveux)
Qu’est-ce qui vous a poussé à rédiger ce texte?
Qu’est-ce qui pousse à écrire ? On peut répondre de bien des manières. Ce n’est évidemment pas l’indignation politique (que l’écrivain doit fuir à tout prix) ; je dirais l’indignation esthétique et la volonté de mettre le monde dans un coin-coin comme certains Boddhisattva. La présence du pochlost dans nos vies est la motivation la plus puissante, l’excitant le plus efficace. L’université, à cet égard, est un milieu idéal dans lequel on cultive des bizarreries qui ne poussent nulle part ailleurs. Un forain m’a dit un jour qu’on lui faisait de la concurrence déloyale, il y a du vrai là-dedans.
Sans divulgacher, de quoi s’agit-il?
Il s’agit de l’histoire d’un jeune homme amoureux qui meurt à cause d’un pigeon, d’un doctorant qui traduit des textes écrits par des poulets, mais également de sous-sol, de Plotin, d’astres et de la Providence. C’est une forme d’épopée galactique en un certain sens.
«Pouvoir être publié dans la Collection Bleue était, pour ce petit département, le souverain bien, l’aubaine d’une vie. Imaginez sa tête dans une vignette en quatrième de couverture, c’était le fantasme de leur nuit. Pour voir leur faciès imprimé dans une mandorle? Ils auraient donné des livres de chair, lutté contre des panthères. Matin et soir, O’Dannon donnait du ‹Collection bleue, Collection bleue› c’était pour lui un mot magique qui mettait en chaleur les esprits et les tenait en laisse.
Pourtant, à première vue, ces livres n’étaient pas si attrayants. Sur leurs couvertures, des volutes blanches sur fond bleu se répandaient comme le sperme sans télos des tortues. Une pochette de plastique opaque, écaillée par des milliers de mains, rendait souvent le titre illisible. A l’intérieur, ce n’était pas mieux: des pages jaunes comme du beurre rance, une police grasse entourée de bords crénelés… des timbres faits pour Dieu sait quel plérome. Tous se situaient à la huitième rangée de la biblioteca di filosofia, la plus haute rangée, si bien que même l’escabeau s’avérait inutile: si l’on faisait moins de deux bons mètres, il fallait dire adieu à cette sagesse. Les plus affamés essayaient de grimper sans baudrier. Il y eut beaucoup de graves accidents: les chutes cassèrent huit à neuf nuques et écornèrent au moins quatre, certains disaient six ouvrages spécialisés. Il y eut même à ce propos un article dans le journal universitaire où le rédacteur en chef s’échauffa et parla même de ‹vandalisme›.
Bref. Alors qu’il le crut parti pour de bon, Ontosson fut surpris pas une dernière apparition. A travers l’entrebâillement de la porte blindée, O’Dannon déroula sa tête comme l’oeil d’un escargot et alors qu’elle rebondissait sur des amas de chair molles à la base du cou, il cria une dernière fois: «‹a Collection Bleue›, puis disparu comme un diable.»
En flairant l’indicible, Martin Morend
Avez-vous une routine d’écriture ?
Je préfère les heures de la nuit. Tout est plus tranquille, les idées sont merveilleusement claires, l’inspiration plus sensible qu’en plein jour (sous la lumière elle tend à se contracter atrocement comme une mangue ou un pruneau séché). Il faut beaucoup d’obscurité pour une bonne histoire. C’était d’ailleurs la méthode de Pétrarque: se lever plusieurs fois par nuit pour écrire. Lorsque j’ai l’occasion d’aller près de la mer ou dans des villes d’eau, c’est là que je suis le plus productif (j’écris alors trois à quatre fois plus vite!).
Comment décririez-vous votre style d’écriture?
Je dirais que mon style se tient exactement entre celui de Cellini, de Nabokov et de Kandinsky, à savoir au milieu d’un triangle étrange que personne n’a encore jamais observé, mais qui est postulé par beaucoup de mes confrères.
Avez-vous des modèles d’écriture à suivre?
A ne pas suivre: tous les philosophes contemporains, ces détritivores. Pour la volonté, l’envie d’en découdre? Le Doom Slayer sans aucun doute. D’un point de vue plus littéraire: Hégémon de Thasos, Pouchkine, Ibsen, Platon, Hoffmann et Li-Po. Vous savez, du moment que l’on aime Christophe Grangé ou Dicker, il n’est vraiment pas difficile de bien écrire. Cela est même donné à un «philosophe»… C’est dire.
Avez-vous d’autres projets en vue?
Beaucoup. Mais cela demande un temps infernal. J’ai calculé: environ six heures pour cent mots. Un petit roman comportant 30’000 mots, cela fait exactement 1800 heures de boulot. 1’800 divisé par six heures de travail nocturnes, cela fait 300 jours. Dans une année j’aurais terminé un petit roman que j’espère très amusant, joyeux et philosophique.
- Le concours littéraire de l’Université de Fribourg est organisé par le Rectorat. Les prix décernés récompensent les meilleurs travaux, présentés dans les différentes langues et littératures enseignées à l’Université. Toutes et tous les étudiant-e-s immatriculé-e-s à l’Université de Fribourg ont le droit d’y participer.
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