Est-il plus difficile pour les femmes d’obtenir des fonds de recherche? La question fait débat, mais un récent article de synthèse, publié dans la célèbre revue Higher Education affirme que oui.
Dans le landerneau académique, tout le monde n’est pas d’accord. Au cours de la dernière décennie, différentes études ont démontré que les femmes et les hommes ont des chances comparables d’obtenir les subventions et les bourses nécessaires au financement de leurs recherches. Tandis que d’autres ont relevé que, selon les sources de financement, à compétences académiques égales ou supérieures les candidates sont discriminées.
Alors, qui croire?
Sayaka Sato et Pascal Gygax, de l’équipe de Psycholinguistique et Psychologie sociale appliquée de l’Université de Fribourg, Julian Randall, responsable du Service Promotion Recherche, et Marianne Schmid Mast de l’Université de Lausanne, se sont associés pour décortiquer ces multiples recherches. De leur examen résulte que, même si des études à grande échelle suggèrent que les femmes et les hommes ont des chances égales d’obtenir un financement pour la recherche, cela n’équivaut pas à une absence de biais liés au genre. «Il ne suffit pas de comparer les montants des financements ou les succès entre femmes et hommes, souligne le groupe de travail. En effet, même lorsque les femmes obtiennent des subventions de recherche similaires, il est probable que ce soit en dépit d’obstacles systémiques et sociétaux que les hommes ne rencontreront jamais.»
De nombreuses études ont montré que, lorsque le profil d’une chercheuse ou d’un chercheur est évalué, les femmes sont désavantagées, peu importe que leurs propositions scientifiques soient aussi bonnes ou meilleures que celles de leurs concurrents masculins. Les biais liés au genre sont profondément ancrés dans la culture universitaire dominée par les hommes.
Effet boule de neige
Les auteur·e·s montrent comment, en milieu universitaire, les femmes se heurtent à de nombreux obstacles que les hommes ne rencontrent pas. Par exemple, des recherches montrent que les femmes ont plus difficilement accès à des laboratoires adaptés, ou reçoivent des budgets de déplacement inférieurs. De plus, à l’instar de nombreuses autres professions, les femmes, dont la carrière universitaire est interrompue par la garde des enfants ou des obligations familiales, peuvent subir un frein à la productivité; ce qui est moins le cas pour les hommes. Cette situation est amplifiée par le manque habituel de soutien institutionnel ou sociétal. Sur la base de recherches antérieures, les auteur·e·s affirment que ce manque de productivité peut entraîner une baisse de la confiance en soi, des évaluations plus faibles de la part des collègues et des étudiant·e·s, des promotions moins importantes. Cette situation aura forcément un impact sur leur profil académique et leurs demandes de financement. La liste est longue, et dans les universités où les performances sont interdépendantes, même des problématiques apparemment insignifiantes peuvent faire boule de neige, entrainant des parcours professionnels plus difficiles pour les femmes.
En bref, selon Sayaka Sato, Pascal Gygax, Julian Randall et Marianne Schmid Mast: «Le financement de la recherche peut sembler impartial, mais c’est un leurre. Si l’on considère les obstacles systémiques et sociétaux, le chemin qui conduit les femmes à demander des fonds pour la recherche et à les obtenir est truffé d’obstacles que les hommes ne rencontreront probablement jamais».
Les petits ruisseaux font les grandes rivières
Le Service Promotion Recherche (SPR) de l’Unifr, dont le rôle principal est de soutenir les chercheuses et les chercheurs de l’Unifr dans le financement de leurs recherches a innové en lançant et participant à cette étude, une démarche plutôt rare. Julian Randall, son responsable, nous explique.
Pourquoi avoir lancé cette recherche?
Ce travail entre dans le cadre de la politique générale de diversité de l’Université. Ce type de collaboration entre service et recherche est peu fréquent. Mais c’est une véritable chance pour l’Unifr de pouvoir profiter des résultats d’un tel travail dans sa pratique administrative, d’autant plus que ces découvertes peuvent contribuer à l’égalité des chances pour les chercheuses.
Quels étaient les constats dans votre travail quotidien?
Un jour, alors que je travaillais sur une affiche, j’ai demandé conseil à des femmes. L’une d’entre elles m’a affirmé qu’elle ne se sentait absolument pas concernée par le résultat, parce que j’avais utilisé des images qui ne montraient que des hommes. J’ai réalisé alors à quel point, quelle que soit l’importance du message et la qualité du travail de communication, les résultats pouvaient être filtrés par des facteurs dont je n’avais pas nécessairement conscience.
Plus largement, il s’agit, bien entendu, de soutenir la politique de genres de l’Université et de nombreux organismes de financement, qui font de gros efforts pour éliminer les risques de préjugés sexistes. Par exemple, le projet Spark du Fonds national suisse (FNS), actuellement en cours d’évaluation, ne comporte pas de CV.
Vous relevez un manque de soutien aux chercheuses. Qu’entreprend l’Unifr à ce sujet?
Le Service de l’égalité entre femmes et hommes de Unifr propose de nombreux programmes de soutien. Celui auquel on a fait appel a permis d’engager une chercheuse à 20% pendant 2 ans uniquement sur ce projet. Notre Service, quant à lui, veut piloter une formation réservée aux femmes. L’expérience de l’ETHZ montre, en effet, que de telles formations ont stimulé les demandes féminines auprès de l’European Research Counsil (ERC). Le SPR s’intéresse également à un filtrage des préjugés dans les propositions, avant leur soumission. Le FNS a, en effet, relevé que malgré l’évaluation en double aveugle de son nouvel instrument (SPARK), les chercheuses n’ont toujours pas obtenu les résultats espérés. C’est pourquoi le SPR veut améliorer, au travers d’outils spécifiques, les formulations qui habituellement sont empreintes de biais de genre dans les demandes de fonds.
Enfin, nous travaillons à des projets de numérisation qui devraient également soutenir l’égalité. Les chercheuses peuvent, en effet, apprécier les webinaires plutôt que les événements présentiels, car ils permettent aux parents (aux femmes comme à leur conjoint) d’être présents aux séminaires, malgré leurs responsabilités familiales. Notre projet de gestion de campus, qui sera développé en 2021, peut également aider les chercheuses en leur fournissant une aide financière, même lorsqu’elles ne sont pas au bureau. Stay tuned.
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- L’article publié dans la revue Higher Education peut être téléchargé ici
- Sayaka Sato est chercheuse senior au Département de psychologie de l’Unifr
- Pascal Gygax est lecteur au Département de psychologie de l’Unifr
- Julian Randall est chef de section au Service Promotion Recherche de l’Unifr
- Marianne Schmid Mast est professeure au Département de comportement organisationnel
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