Sergio Rossi fait partie des 60 économistes qui ont lancé un appel à un nouveau confinement auprès du Conseil fédéral. Il nous explique cette position, qui va à l’encontre des idées généralement émises par les milieux économiques.
Avec 60 autres professeurs d’économie en Suisse, vous avez adressé une lettre au Conseil fédéral afin de réclamer un nouveau confinement. Comment cette lettre a-t-elle vu le jour?
L’origine de cette lettre ouverte, disponible ici, réside dans un double constat qui est indéniable. D’un côté, le premier confinement qui a suivi les débuts de la pandémie de Covid-19, au printemps, a entraîné une baisse rapide et considérable du nombre de personnes infectées par le coronavirus. S’en est également suivi une très forte diminution du nombre de décès. D’un autre côté, les mesures introduites au niveau fédéral et au niveau cantonal depuis cet été n’ont pas permis d’atteindre des résultats similaires.
Parmi les quelque 60 économistes qui ont signé cet appel, la grande majorité s’inscrit dans la pensée dominante, qui veut «moins d’Etat et plus de marché». Cela en dit long sur la nécessité d’une forte intervention publique au niveau économique pour soutenir les activités qui souffrent à cause de la pandémie, ainsi que sur les effets négatifs que celle-ci comporte sur le plan économique.
Pourquoi maintenant?
Depuis le début de l’automne, nous observons une forte augmentation du nombre de personnes infectées par la Covid-19, ainsi que du nombre de décès. Cette situation dramatique n’a pourtant pas encore amené les pouvoirs publics à décider un deuxième confinement, qui reste la meilleure solution pour sauver des vies et aider tant les entreprises que les travailleurs en grande difficulté.
Vous relevez qu’un lockdown permettrait de sauver des vies. Avez-vous l’impression que l’économie prime aujourd’hui sur les questions sanitaires?
En Suisse, davantage que dans les autres pays occidentaux, l’économie influence de près les choix politiques, du fait que les majorités au Conseil fédéral, au Parlement et dans bien des cantons sont inspirées par les idées néolibérales, qui veulent réduire au minimum l’intervention du secteur public dans le système économique pour laisser fonctionner la supposée «loi du marché». On l’a vu, encore récemment, lorsque les pouvoirs publics ont décidé de ne pas imposer un deuxième confinement pour ne pas devoir dépenser de l’argent public dans le soutien aux activités économiques en souffrance.
Contrairement au constat usuel, vos collègues et vous-même pensez qu’un véritable lockdown court et complet serait plus salvateur pour l’économie que les mesures actuelles. Pouvez-vous nous expliquer cette position?
Comme nous l’avons écrit dans la lettre ouverte adressée au Conseil fédéral, le coût total d’un confinement bien géré sera plus faible que le coût des mesures actuelles, qui ont visiblement échoué à contenir le virus. Ces dernières mesures, qui ont déjà un coût économique considérable, entraîneront pourtant aussi un taux de mortalité bien plus élevé. En l’état, le choix se situe entre (1) une profonde récession avec des hôpitaux débordés et de nombreux décès à cause des politiques actuelles et (2) une profonde récession avec beaucoup moins de décès et un système de santé gérable grâce à un second confinement. Lorsque le virus se répand rapidement, comme c’est le cas actuellement en Suisse, les risques sur la santé et la peur qui en découle empêchent les gens et les entreprises de poursuivre leurs activités économiques. Les chaînes d’approvisionnement sont rompues et les entreprises feront également faillite. Les travailleurs seront donc tout aussi vulnérables, si ce n’est davantage qu’avec un deuxième confinement. Etant donné qu’en Suisse les finances publiques le permettent – et d’autant plus que les taux d’intérêt sont négatifs – il est possible de mettre en œuvre des politiques budgétaires expansives et ciblées pour engendrer un cercle vertueux où les ménages et les entreprises concernés reçoivent de bonnes incitations et sont donc plus enclins à accepter les restrictions supplémentaires qu’un confinement impose à court terme.
Il semble que les entrepreneurs vous reprochent de tirer des constats «hors de votre tour d’ivoire» et de ne pas être assez ancrés dans la réalité ou dans le quotidien économique du pays. Que leur répondez-vous?
Les économistes doivent avoir une vision qui coiffe l’ensemble du système économique au lieu de ne considérer qu’une seule entreprise ou une seule branche d’activité, comme c’est d’habitude le cas pour les entrepreneurs. Qui plus est, les économistes ne doivent pas considérer uniquement l’objectif de la maximisation du profit des entreprises, mais doivent tenir compte de l’intérêt général de manière à contribuer au bien commun.
Le Conseil fédéral vous a-t-il répondu? Qu’en attendez-vous?
En l’état, à ma connaissance, il n’y a pas eu de réponse officielle. Je ne pense d’ailleurs pas qu’il y en aura. Mais j’espère que le Conseil fédéral tiendra compte de notre lettre ouverte, à toutes fins utiles. Il en va du sort de l’économie et de la société dans leur ensemble.
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