Une piste prometteuse pour aider les enfants atteints de TDAH

Une piste prometteuse pour aider les enfants atteints de TDAH

Face à la levée de boucliers contre la Ritaline, la prise en charge non-pharmacologique du TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) cristallise tous les espoirs. Une doctorante de l’Unifr suit une piste prometteuse ciblant un dysfonctionnement de la mémoire de travail.

C’est une modeste abréviation, formée de quatre lettres seulement; et pourtant, depuis quelques années, elle fait grand bruit auprès des parents, enseignant·e·s et pédiatres. Le TDAH (pour «trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité») est tellement médiatisé qu’il en devient parfois indigeste, voire qu’on a l’impression d’assister à une explosion des cas, en Suisse comme ailleurs.

Ce n’est heureusement qu’une impression. «La prévalence du TDAH semble stable depuis une trentaine d’années», souligne Luísa Superbia Guimarães, doctorante en psychologie du développement à l’Unifr. Selon la dernière méta-analyse d’envergure, réalisée en 2014, quelque 5% des enfants et 2,5% des adultes seraient concernés à travers le monde. Ces chiffres «peuvent être extrapolés à la Suisse», précise la collaboratrice du Working Memory Development Lab.

Forte composante génétique
Le TDAH, quésaco? «A l’image de l’autisme, de la dyscalculie ou de la dyslexie, il s’agit d’un trouble neuro-développemental, qui apparaît durant l’enfance», explique Luísa Superbia Guimarães. Deux grands groupes de symptômes lui sont associés, à savoir la dimension de l’hyperactivité (soit l’excès d’activité motrice et l’impulsivité) et la dimension de l’inattention (qui comprend les difficultés à soutenir l’attention durant une période prolongée). «Ces deux dimensions peuvent être présentes séparément ou en même temps», précise la chercheuse. Il y a par conséquent trois sous-types de TDAH: l’inattentif, l’hyperactif et le sous-type combiné.

Même si certains facteurs externes (par exemple un environnement générateur de stress et de conflits interpersonnels) peuvent renforcer les symptômes du TDAH, ce trouble n’en demeure pas moins principalement d’ordre génétique. Ainsi, «la probabilité d’en être tous deux affectés est très fortement augmentée chez les jumeaux», poursuit Luísa Superbia Guimarães. Logiquement, les symptômes ne disparaissent donc pas au cours de la vie. «Par contre, ils peuvent être atténués grâce à certaines stratégies, par exemple d’adaptation», ce qui contribuerait à expliquer la différence de prévalence entre enfants et adultes.

Les personnes avec un TDAH présentent des difficultés se rapportant à trois processus psychologiques de base, à savoir l’inhibition comportementale, la motivation et la mémoire de travail. «Davantage présente dans le sous-type hyperactif, l’inhibition comportementale se manifeste notamment par une difficulté à réfréner des impulsions telles qu’éternuer ou se lever de table.». En ce qui concerne la motivation, on peut citer la difficulté à attendre une récompense tardive. «Inutile de promettre à un enfant avec TDAH de l’emmener au cinéma ‹le week-end prochain› s’il range sa chambre…» Quant aux performances plus faibles en mémoire de travail (sur lesquelles portent les travaux de la doctorante brésilienne), elles semblent davantage toucher le sous-type inattentif.

La Ritaline en dernier recours
Dans l’imaginaire collectif contemporain, le terme TDAH est presque systématiquement associé à un autre, formé pour sa part de huit lettres: Ritaline. Ce célèbre psychostimulant, basé sur le principe actif méthylphénidate, est le médicament le plus couramment utilisé dans le traitement du TDAH. «Dans les années 2000, son utilisation a fortement augmenté à travers le monde, suscitant par ricochet un mouvement critique», rapporte Luísa Superbia Guimarães. L’une des critiques porte sur «le risque accru de dépendance à d’autres stimulants, notamment durant l’adolescence, en cas de prise continue de Ritaline». Alertée, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a édicté en 2015 de nouvelles recommandations concernant le traitement du TDAH, ne conseillant le méthylphénidate qu’en dernier recours.

Déjà bien documentées depuis les années 1970, les approches non-pharmacologiques sont donc désormais privilégiées. «Parmi elles, les deux plus connues sont la gestion des comportements disruptifs et l’entraînement de l’habileté cognitive», selon la chercheuse de l’Unifr. La première repose principalement sur l’entraînement des parents et des enseignants, afin qu’ils puissent accompagner au mieux l’enfant et l’adolescent dans son apprentissage de la gestion du TDAH au quotidien, notamment celle des conflits en société. «La psycho-éducation, à savoir l’information sur ce qu’est ce trouble et comment il fonctionne, s’avère aussi très efficace.» Le plus important est «de travailler étroitement en réseau, que ce soit avec le pédiatre, le psychologue ou l’école». Selon la doctorante, les programmes informatiques récents vendus sur le marché dans le but d’entraîner l’habileté cognitive sont par contre inefficaces à long terme car «les contenus assimilés sont trop spécifiques, donc difficilement transposables à d’autres domaines».

Mémoire de travail affectée
De récentes recherches scientifiques laissent néanmoins entrevoir une nouvelle manière d’aborder le traitement non-pharmacologique du TDAH. «Leurs résultats suggèrent que les enfants atteints de ce trouble présentent un fonctionnement différent de la mémoire de travail», note Luísa Superbia Guimarães. Elle rappelle que la mémoire de travail est l’habileté cognitive consistant à retenir et à manipuler des informations à court terme. Appelée working memory en anglais, elle est «indispensable pour accomplir des tâches telles que le calcul ou le raisonnement, que ce soit à l’école (lire, écrire, calculer, etc.) ou dans la vie quotidienne (se rappeler d’une liste de courses, du parcours pour rentrer chez soi, etc.)».

La performance en mémoire de travail des personnes concernées par le TDAH serait plus faible que la moyenne, que ce soit dans le domaine visuo-spatial (se rappeler des apparences, des couleurs, des formes) ou verbal (se rappeler des syllabes, des mots). «Il y a quelques années, Rapport et son équipe ont proposé un modèle théorique selon lequel la cause des symptômes du TDAH est à mettre en lien avec l’oubli rapide des informations retenues par la mémoire de travail», rapporte la doctorante en psychologie du développement. «Mais ce modèle ne spécifie pas quels sont les mécanismes internes de la mémoire de travail qui sous-tendent cet oubli rapide.»

C’est là qu’intervient l’hypothèse de Luísa Superbia Guimarães: selon la chercheuse, le nœud du problème se situe au niveau de la stratégie mémorielle appelée attentional refreshing, avec laquelle les enfants atteints du TDAH auraient des difficultés. Développé par la professeure de l’Unifr Valérie Camos, le concept d’attentional refreshing fait référence à une technique consistant à focaliser son attention sur le contenu de la mémoire de travail pour éviter l’oubli. Normalement, les enfants «le font avec la même efficacité que les adultes dès lâge de 10-11 ans», précise la doctorante.

Appel aux participants
Dans le cas des enfants avec un TDAH, trois possibilités pourraient expliquer le «nœud». «Soit ces enfants savent faire l’attentional refreshing mais ne le font pas, soit ils ne savent pas faire l’attentional refreshing, soit ils développent cette stratégie plus tard que les enfants sans TDAH», liste la jeune femme. Financé par une Bourse d’excellence de la Confédération, son travail de thèse (dont la Professeure Valérie Camos est la directrice) vise à «évaluer la fonctionnalité du mécanisme et tester la possibilité d’enseigner cette stratégie mémorielle aux enfants atteints d’un TDAH».

Pour ce faire, la chercheuse va sélectionner soixante enfants âgés de 10 à 16 ans, dont la moitié présentant un TDAH et l’autre moitié pas. «Ils devront réaliser trois activités sur un ordinateur, qui nous permettront de tester leur capacité de mémoire de travail.» Concrètement, il s’agira de mémoriser des stimuli tout en effectuant une autre tâche. «Il sera ainsi possible de savoir si les enfants avec TDAH sont capables de faire l’attentional refreshing ou pas» et surtout s’il est possible de les aider à le faire.

Ce dernier cas de figure «constituerait le résultat le plus optimiste». Il ouvrirait en effet la voie au développement d’un protocole d’enseignement de cette stratégie mémorielle si importante. Un job pour Luísa Superbia Guimarães? «Une chose après l’autre», plaisante la chercheuse brésilienne. Pour l’instant, elle concentre son énergie sur le recrutement de participant·e·s à son étude.

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  • Page de Luísa Superbia Guimarães
  • Site du Département de psychologie cognitive

Author

Journaliste indépendante basée à Berne, elle est née au Danemark, a grandi dans le Canton de Fribourg, puis a étudié les Lettres à l’Université de Neuchâtel. Après avoir exercé des fonctions de journaliste politique et économique, elle a décidé d’élargir son terrain de jeu professionnel aux sciences, à la nature et à la société.

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