L’enquête DISPAR, menée au printemps dernier sur l’enseignement à distance durant le premier confinement, vient de livrer ses résultats: si une majorité de parents se sont sentis à l’aise ou peu débordés, l’étude souligne l’accroissement des inégalités entre élèves et les difficultés de certains parents à prendre un rôle d’enseignant qui n’est pas le leur. On fait le point avec le chercheur fribourgeois, Xavier Conus.
A la fin du printemps dernier, Alma&Georges évoquait une étude menée par Héloise Durler (Haute école pédagogique du Canton de Vaud) et Xavier Conus, chercheur en Sciences de l’éducation à l’Université de Fribourg, centrée sur le vécu des parents d’écoliers du primaire lors de l’enseignement à distance en période de confinement (lire ici).
L’enquête «DISPAR – L’enseignement à DIStance mis en place lors de l’épidémie du coronavirus: vécu de PARents d’élèves du primaire vaudois et fribourgeois [1-8P HarmoS]», diffusée en ligne entre le 28 avril et le 24 mai 2020 par le biais des réseaux sociaux et auprès de structures associatives, s’appuie sur 1280 réponses de parents vaudois et fribourgeois. Ici comme là, la fermeture des écoles au printemps 2020 a été ressentie comme un temps d’«école à la maison», durant lequel la responsabilité perçue de devoir encadrer le travail scolaire des enfants a provoqué des difficultés pour une minorité certes, mais significative.
Globalement, l’enquête montre que les parents ont eu le sentiment de se trouver en première ligne dans l’accompagnement du travail scolaire à distance. Alors que 97% indiquent avoir aidé eux-mêmes leur enfant lorsqu’il en avait besoin, seuls 17% mentionnent l’enseignant∙e comme une ressource face à un besoin jugé fréquent. Pour Xavier Conus, «dans le vécu des parents, cette période s’est ainsi davantage apparentée à un temps d’école à la maison, durant lequel la responsabilité du travail scolaire leur incombait, qu’à une période d’enseignement à distance que l’on imaginerait encadré au premier chef par l’école».
Dans ces circonstances, 64% des répondant∙e·s se sont néanmoins déclaré∙e·s plutôt à l’aise dans ce nouveau rôle et 51% peu débordé∙e·s. «Si on peut y voir un signe de la compréhension affichée par les parents pour la situation d’enseignement à distance mise en place, ce taux souligne aussi des vécus inégaux, avec une part tout de même importante de parents en difficulté.» Parfois dues à un manque de disponibilité en raison de leur activité professionnelle, ces difficultés ont cependant été avant tout d’ordre pédagogique. Comment motiver l’enfant? Comment endosser ce «rôle d’enseignant» que les parents ont eu l’impression de devoir prendre? Le sentiment de certains d’être peu à l’aise ou débordés s’est avéré fortement lié aux difficultés scolaires de l’enfant et à leur impression d’être capables de l’aider ou non.
Eviter l’«effet Matthieu»
Ce report de responsabilité de l’encadrement du travail scolaire sur les parents a aussi généré une augmentation des inégalités scolaires. «Les parents dont l’enfant était en difficulté scolaire ont, sans surprise, perçu chez lui un besoin accru d’être aidé dans son travail scolaire. Ils ont eu tendance à se sentir moins capables d’y répondre et à rencontrer davantage de difficultés dans leur accompagnement.» Ces inégalités, dues aux différences de facilité scolaire des enfants, se sont doublées d’inégalités selon les milieux socio-économiques. L’enquête établit en effet le constat que «le niveau de formation et la catégorie socioprofessionnelle du parent se trouvent significativement corrélés au sentiment d’être capable de répondre au besoin d’aide de l’enfant». Cet effet, connu en sociologie, décrit comment les plus favorisés tendent à accroître leur avantage sur les autres. Il tire son nom de l’évangile de St-Matthieu, 13:12: «Car on donnera à celui qui a […] mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a.» Alors même que leur enfant tendait à être perçu comme ayant besoin d’une aide accrue, les parents de milieux moins favorisés se sont sentis moins capables de lui fournir l’aide nécessaire.
Pour Xavier Conus, en cas de nouvelle fermeture des écoles, «atténuer les inégalités devrait passer par une concentration des efforts de l’école pour éviter que l’enseignement à distance ne prenne la forme d’une ‹école à la maison›, dans laquelle la responsabilité de l’encadrement du travail scolaire de l’enfant se trouve déléguée vers des parents dont ce n’est pas le rôle. Il s’agit de mieux accompagner les élèves qui en ont besoin et de soulager au maximum les parents de la charge du travail scolaire. Les difficultés relevées montrent bien que la collaboration, largement prônée, entre l’école et les familles ne signifie pas renoncer à la spécificité des rôles de chacun».
A cela s’ajoute le constat de disparités dans les dispositifs mis en place par les enseignant∙e·s dans la transmission du matériel scolaire. «Cette période a servi d’effet-loupe sur les conséquences de ces disparités en termes d’inégalités, contre lesquelles l’école et les enseignant∙e·s cherchent à s’engager. Une lutte qui passe certainement par une meilleure mutualisation des ressources et savoir-faire pédagogiques, ainsi que par un mode de gouvernance permettant une harmonisation des pratiques.» En effet, seuls 16% des parents disent avoir reçu des informations sur l’encadrement pédagogique du travail. Un taux très bas qui révèle, aux yeux du chercheur, que «l’école a, dans sa communication, mis l’accent sur les aspects organisationnels pratiques plus que sur la question du rôle des parents dans le travail scolaire à distance des enfants».
Nouveau paradigme
S’il se garde d’évoquer des réponses concrètes, qui appartiennent désormais aux autorités scolaires concernées – le Service de l’enseignement obligatoire de langue française (SEnOF) à Fribourg et la Direction générale de l’enseignement obligatoire (DGEO) dans le Canton de Vaud – Xavier Conus conclut en proposant cette contribution à une réflexion plus large et éminemment complexe: «Il est, à mon sens, essentiel que l’école garde la main sur le travail scolaire appelé à se dérouler dans le contexte familial et développe les savoir-faire pédagogiques et les ressources nécessaires à un enseignement à distance, dans lequel le travail scolaire de l’enfant – y compris ses moments de travail autonome – se trouve repris, accompagné et encadré par l’enseignant∙e. Et qu’elle clarifie une ligne qui limite le rôle des parents à assurer un contexte de travail favorable à l’enfant et à réorienter l’enfant vers la ressource de l’enseignant∙e en cas de besoin.»
Le SEnOF réagit
Du côté du SEnOF, l’enseignement majeur de cette période est, selon Michel Piller, «que le partenariat avec les familles doit être développé et consolidé». Inspecteur scolaire et répondant «Enseignement à distance» lors de la crise Covid-19, il approuve bon nombre des constats établis par l’enquête de Xavier Conus: «L’annonce du Conseil Fédéral le 13 mars a pris tout le monde de court: école, enseignant∙e·s, élèves, et bien sûr parents… Tout le monde a fait du mieux qu’il pouvait!
L’école et les enseignant∙e·s ont dû réinventer certains gestes pédagogiques de base à distance. Le SEnOF a mis à leur disposition des balises pour les aider à la planification du travail et déployé de nouveaux outils informatiques. Pour les parents comme pour les enseignant∙e·s, nous avons jugé que le plus important était de maintenir le lien école-famille, sachant que toutes les familles n’ont pas les mêmes conditions pour soutenir leur enfant. Nous avons cherché à développer la communication dans le sens d’un réel dialogue. Les enseignant∙e·s qui ont défini clairement leurs disponibilités sont celles et ceux qui ont le mieux développé ce dialogue et ainsi pu aider les parents, par exemple, à estimer et planifier le temps de travail de leur enfant.
Pour mieux accompagner les parents en cas de nouvelle situation d’enseignement à distance, nous avons travaillé à leur donner de nouvelles ressources pour le rôle qui est le leur: offrir un cadre d’apprentissage sécure à leur enfant. Concrètement, cela passerait par l’accès à des ressources informatiques pour consolider le lien et le dialogue; des outils différenciés mis à disposition des établissements, dont les catégories socio-professionnelles de parents peuvent varier fortement; et l’intensification d’une communication avec les parents, différenciée selon la classe d’âge de leur enfant».
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Xavier Conus est maître d’enseignement et de recherche au Département des sciences de l’éducation et de la formation de l’Université de Fribourg.
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