Après un mémoire de master en histoire de l’art présenté à l’Unifr en 2019, Mathilde Jaccard a posé ses valises pour l’année académique 2021-2022 à l’Istituto Svizzero à Rome. Elle nous parle de cette expérience inédite.
Mathilde, on s’habitue à vivre dans une résidence comme celle de la Villa Maraini?
On s’habitue même un peu trop. Imaginez que, pendant dix mois, votre chambre est quotidiennement nettoyée, votre plat du midi est cuisiné et vous avez accès à une terrasse avec le plus haut point de vue de la ville! Sans compter les invitations reçues des quatre coins de Rome, uniquement parce que vous êtes résident·e·s à l’Institut Suisse. Nous vivons dans un havre de nature, la Villa est somptueuse, le jardin est impressionnant et nous sommes entouré·e·s par les ambassades et les hôtels cinq étoiles; franchement, c’est dur de ne pas devenir snob (rire)! Il faut surtout faire attention à la retombée après un séjour aussi chic.
L’Institut est-il ouvert aux visites?
Oui, tant que ça ne dépasse pas le niveau de connivence interne. L’Institut s’attend à ce que l’on respecte les lieux, mais il y a une grande tolérance à ce niveau-là.
Quelques mots à dire sur le programme transdisciplinaire Roma Calling?
Tout d’abord, il a fallu déposer un dossier de candidature dans lequel nous devions expliciter la nécessité de rester dix mois en Italie, spécifiquement à Rome pour le Roma Calling. Par ce programme, l’Institut espère favoriser un échange entre différent·e·s résident·e·s. Au total, il y a dans la Villa Maraini douze personnes: six chercheuses ou chercheurs et six artistes. Le centre du programme transdisciplinaire est à Rome et, depuis quelques années, l’Institut propose aussi des séjours à Milan et à Palerme. Le nombre de résident·e·s est toutefois limité à respectivement trois personnes pour Milan et deux pour Palerme et les séjours sont plus courts. En cette nouvelle année académique, l’Institut de Rome propose que deux des douze personnes choisies puissent réduire leur séjour de dix à cinq mois. Pour cela, il faut, bien sûr, pouvoir développer sa recherche en moins de temps.
L’Institut encourage au maximum les résident·e·s à participer aux événements, aux visites en commun, etc. Mais il y a également dans les rencontres avec les autres institutions, telles que l’académie américaine ou allemande, un but diplomatique. Elles sont un point récurrent de la vie à l’Institut, il n’y a pas une semaine sans que l’on ne soit invité·e à participer à un événement.
Vous arrivez à tout gérer, votre travail de recherche et votre participation active aux événements?
Ce n’est pas une obligation de participer à tous les événements, mais il y a quand même une forme de contrat implicite avec l’Institut, une attente à ce que les résident·e·s soient présent·e·s pour éviter les abus des personnes qui postulent uniquement dans le but de faire joli dans le CV. Dans l’accord que nous avons signé avec l’Institut, nous garantissons ne pas être absent·e·s plus de trente jours. L’engagement de la ou du résident·e est de gérer son temps et savoir mettre la priorité sur son propre projet.
Il est clairement nécessaire d’avoir une bonne organisation et je dois avouer qu’il est difficile au début du séjour de ne pas se sentir dépassé·e par l’accumulation des événements. Cela peut être déroutant les premiers temps, mais on s’habitue vite à cette vie-là.
Quelles relations avez-vous avec les autres artistes, chercheuses et chercheurs de l’Institut? Comment arrivez-vous à créer des synergies entre vous?
C’est un des grands challenges de l’Institut. Ce qui donne cette coalition entre nous, ce sont tous les à-côtés: les soirées, la participation aux événements, les visites de la ville et, bien sûr, les pièces que nous partageons au sein de la résidence. Nous avons aussi une salle réservée dans la tour et une terrasse privative sur le toit; c’est dans ces endroits que les rencontres interdisciplinaires se font le plus.
L’Institut s’évertue donc à rassembler des résident·e·s aux points communs?
Oui et je pense que c’est toute la difficulté de leurs recherches. Au niveau de la sélection, l’Institut prend garde à représenter une grande variété du milieu de la recherche et du monde artistique venant d’universités, de branches et de langues différentes. Dans un deuxième temps, ils s’assurent que les personnalités choisies peuvent «matcher» et que le programme transdisciplinaire peut fonctionner entre toutes ces individualités. Il faut aussi savoir que la majorité des chercheuses et chercheurs ont toutes et tous une orientation artistique (histoire de l’art, architecture, archéologie) et que cette position contribue à tisser des liens avec les artistes.
Avez-vous des échanges réguliers avec les résident·e·s de Milan et de Palerme?
Nous nous sommes rencontré·e·s à Palerme au début de l’année académique et le second rendez-vous se déroulera en février prochain, mais ne concernera que les résident·e·s de Rome et de Milan, puisque le programme Palermo calling sera terminé. Sur l’année, l’Institut organise et finance trois voyages pour les résident·e·s et les destinations sont de notre ressort. Le dernier, prévu en mai 2022, sera exclusivement destiné aux résident·e·s de Rome, puisque le programme Milano calling prendra fin en avril.
Qu’est-ce que Rome a à offrir à une personne comme vous qui se consacre à la recherche?
Tout d’abord l’accès aux archives, étant donné que mon sujet est italien. Outre le fait que ce séjour est un excellent endroit pour ma recherche, il contribue aussi à me faire découvrir une autre culture. Il y a une façon de fonctionner en Suisse qui est très spécifique et l’Italie a une organisation totalement différente de la nôtre. La bureaucratie, par exemple, est très agaçante. Pour nous, Suisses, il est inconcevable de devoir présenter des lettres de recommandation pour avoir accès aux bibliothèques. Cela me fait du bien d’être confrontée à d’autres manières de penser et force est de constater que tout marche très bien dans notre pays.
Votre endroit préféré dans la Villa?
La tour, la vue y est incroyable et des perroquets aiment s’y poser. Je vous laisse imaginer nos têtes en découvrant ces oiseaux verts pimpants! La légende dit que c’est le plus haut point de vue de la ville. Malheureusement, on s’habitue à ce panorama, mais c’est toujours drôle de voir la réaction des gens qui la visitent pour la première fois.
Un conseil à donner aux futur·e·s résident·e·s?
Je ne peux que conseiller cette expérience, tellement elle est grisante, presque hors de la réalité. J’aurais aimé qu’on me dise que tout prend plus de temps que prévu, qu’il faut être patient·e. Il faut changer de rythme de vie et l’accepter. Mais aussi se laisser vivre, se laisser porter par la ville.
Vous avez le temps de vous laisser porter?
Justement, les événements prévus le permettent. Il y a un aspect que l’Institut vise à atteindre dans l’organisation des événements, c’est qu’ils puissent autant que possible plaire à tout le monde, même si nous n’avons pas la même vision des choses. C’est justement cela qui est intéressant. J’avais cette représentation de la Rome idéale de la Renaissance, car ma thèse de doctorat porte sur ce sujet et je me retrouve avec un chercheur qui travaille sur le fascisme et me confronte à un autre aspect de Rome. Je n’aurais pas eu ce point de vue en ne côtoyant que des spécialistes de la Renaissance. Pour moi, c’est cela se laisser porter: rester ouvert·e aux choses.
L’Istituto Svizzero offre chaque année à plus d’une douzaine de jeunes chercheur·euse·s doctorant·e·s, post-doctorant·e·s et artistes une résidence à Rome, Milan ou Palerme. Sa programmation originale et stimulante permet de construire des ponts entre le monde des arts et celui de la science. Expositions, conférences, rencontres, concerts, l’Istituto Svizzero soutient et diffuse la recherche et l’art depuis 1947 et contribue au rayonnement culturel et académique de la Suisse en Italie. Sa mission est d’offrir aux artistes et aux scientifiques la possibilité de poursuivre et développer leurs recherches et activités en lien avec l’Italie, tout en développant leurs réseaux et collaborations.
- Mathilde Jaccard a étudié l’histoire de l’art et l’anthropologie culturelle. Actuellement doctorante à l’Université de Genève, elle a soutenu son mémoire de master à l’Unifr en 2019. Elle prépare sa thèse de doctorat intitulée «De la restauration comme fabrique des origines. Une histoire matérielle et politique de l’art à la Renaissance italienne», soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique.
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