L’antibiorésistance sous la loupe de la sociologie

L’antibiorésistance sous la loupe de la sociologie

Les 4 et 5 novembre, la 8e édition du Festival suisse des méthodes qualitatives, organisé par les sociologues du Département de sciences sociales, aborde le thème de la santé. Domaine fortement investi par la recherche, dans lequel les sciences sociales et l’approche qualitative se sont taillé une place. En témoignent les travaux de la Professeure Muriel Surdez, qui étudie l’antibiorésistance par le prisme des politiques publiques.

La pandémie actuelle nous le rappelle. Nous vivons dans un monde interconnecté, où le vivant s’adapte en permanence. Humains, animaux, environnement, les bactéries circulent et se transforment. Elles résistent aussi parfois. Effet de l’usage abusif d’antibiotiques, le phénomène de l’antibiorésistance, à savoir l’émergence de bactéries devenues résistantes aux antibiotiques, préoccupe de plus en plus la recherche et la politique.

Pneumonies, septicémies, infections intestinales. Les remèdes perdent de leurs effets contre les maladies d’origine bactérienne. Pour tenter d’endiguer le problème, les gouvernements ont mis sur pied des programmes, telle la Stratégie Antibiorésistance Suisse (StAR) lancée par la Confédération en 2015. Stratégie qui s’inscrit dans la perspective «One Health» pour une approche intégrée systémique de la santé humaine et animale, ainsi que de l’environnement.

Comme l’ensemble du domaine de la santé, l’antibiorésistance est courtisée par la recherche. Professeure de sociologie à l’Université de Fribourg, Muriel Surdez s’y est intéressée. Elle a mené des entretiens qualitatifs au sein des administrations fédérales et cantonales chargées de mettre en œuvre la StAR dans le cadre d’un projet financé par le FNS.

«Là où les sciences médicales étudient surtout le phénomène sous l’angle bactériologique, les sciences sociales s’intéressent au processus de mise en place de ces programmes par les politiques de santé publique. Et se penchent aussi sur les défis organisationnels que représente par exemple la réduction des antibiotiques pour les élevages», explique la chercheuse.

Les 4 et 5 novembre à Fribourg, le sujet sera abordé lors du Festival suisse des méthodes qualitatives. Une 8e édition consacrée à la santé, qu’elle coorganise avec ses collègues de l’Unité sociologie du Département de sciences sociales, Esther González Martínez, Fabrice Plomb et Francesca Poglia Mileti.

Sur le terrain
«Les méthodes qualitatives se sont fait une place dans les recherches sur la santé et elles offrent un regard différent par rapport aux études quantitatives», relève Muriel Surdez. Pour la chercheuse, le quantitatif permet de dégager des lignes directrices pour les politiques publiques. En revanche, l’approche qualitative pointe les possibles écueils. Elle met en lumière la complexité de la problématique du point de vue des actrices et acteurs.

C’est qu’un phénomène biologique, même préoccupant comme l’antibiorésistance, ne devient pas un problème de santé publique du jour au lendemain. Sur le plan sociétal, le tempo est différent, explique Muriel Surdez: «L’introduction des antibiotiques s’est généralisée après la Seconde Guerre mondiale et dans les années 1950, l’antibiorésistance était connue, mais on pensait alors que l’élaboration de produits plus performants permettrait d’endiguer le problème.»

Le phénomène s’est, au contraire, accru. Des programmes nationaux et internationaux ont été lancés ces dernières années. Chaque pays a ses particularités. En Suisse, les autorités doivent tenir compte de la structure politique. «Les cantons possèdent une autonomie qui complique la coordination à l’échelon national», observe Muriel Surdez, même si elle relève que les choses ont avancé à ce niveau.

La sociologue a concentré ses recherches sur la santé animale, moins étudiée que la santé humaine. Elle relève une autre particularité du contexte helvétique: le rôle important des vétérinaires dans ces politiques. «Ce sont les expert·e·s de la santé animale. Ce domaine a longtemps été leur pré carré et l’intervention d’autres actrices et acteurs est complexe.»

Donnant-donnant
Les changements sont importants pour les vétérinaires, qui délivrent les antibiotiques. Les tâches administratives augmentent et certain·e·s voient dans ces contrôles une ingérence pas forcément bienvenue. «Ils s’interrogent sur leur autonomie et l’utilisation des données qu’ils transmettent», relève la chercheuse. En s’intéressant aux négociations entre la profession et les organes de santé publique, elle a constaté que les vétérinaires ont accepté de se plier aux contrôles, dès lors qu’ils pouvaient continuer à vendre les antibiotiques, comme c’est le cas en Suisse.

La mise en évidence de tels mécanismes permet de faire avancer les connaissances sur le travail des politiques de santé publique et c’est tout l’intérêt de l’approche qualitative. Muriel Surdez ajoute que ses recherches ont donné lieu à des rencontres intéressantes: «Les vétérinaires se posent beaucoup de questions sur l’antibiorésistance et sur la santé animale. Ils font face à des contraintes, mais cherchent à améliorer les choses.»

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Pierre Koestinger est journaliste indépendant.

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