En 2020, le monde comptait près de 80 millions de personnes ayant dû fuir leur foyer, un triste record! Depuis sept décennies, le HCR, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, tente tant bien que mal de venir à leur secours. En marge d’une conférence organisée dans le cadre de la Faculté de droit, Anja Klug, cheffe du Bureau du HCR pour la Suisse et le Liechtenstein, vient rappeler que, malgré les critiques, le HCR est plus nécessaire que jamais.
Vous avez choisi comme titre de conférence: «70 years UNHCR – still fit for purpose?» Doutez-vous de l’utilité de cette organisation onusienne? Avec 80 millions de personnes déracinées dans le monde, un record, le HCR n’est-il pas au contraire plus nécessaire que jamais?
Nous avons délibérément choisi un titre provocateur pour cet événement. Nous souhaitons soumettre le HCR et le système international de protection des réfugié·e·s à un examen critique dans notre discussion. Nous voulons montrer que ce système n’a rien perdu de sa pertinence, même après 70 ans d’existence. Celui-ci est même plus important que jamais. Il n’y a ainsi jamais eu autant de personnes ayant besoin de l’assistance du HCR qu’aujourd’hui.
Pourtant, le monde a bien changé depuis le 14 décembre 1950, date de la création du UNHCR.
Le HCR a été créé à l’origine pour trouver une solution pour les personnes déplacées à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Mais, il est rapidement apparu, que, d’autres groupes de personnes avaient besoin d’une protection internationale et de solutions durables. Le HCR a donc toujours su réorienter son travail et son organisation pour relever les défis du moment. En ce qui concerne la Convention de 1951 relative au statut des réfugié·e·s, l’instrument juridique sur lequel le HCR est basé, certains considèrent qu’elle est dépassée et qu’elle devrait être révisée. Elle demeure un instrument essentiel. C’est sur cette base que des millions de personnes bénéficient d’une protection aujourd’hui encore. Elle a le potentiel de s’adapter à l’évolution des circonstances. C’est ce que nous aimerions aborder dans notre discussion.
Le HCR a-t-il encore les moyens financiers et logistiques pour s’acquitter de sa mission?
Le HCR dépend presque exclusivement des donateurs pour son travail. C’est un grand défi. De nombreuses personnes n’en sont même pas conscientes. Ces dernières années, seule la moitié du budget du HCR est couverte par les contributions des donateurs. Nos projections laissent entrevoir que 97,3 millions de personnes seront déplacées de force en 2021. C’est un nouveau chiffre record. En réponse aux crises nouvelles, prolongées ou aggravées, générant des besoins plus importants, le budget du HCR, basé sur les besoins, s’élèvera à plus de 8,5 milliards de dollars en 2021. La pandémie de covid-19 et ses conséquences socio-économiques persistantes sont venues s’ajouter aux difficultés auxquels sont confrontées les 80 millions de personnes déplacées aujourd’hui dans le monde, le double d’il y a dix ans. Pour y répondre, une collaboration internationale et une réponse soutenue et adéquatement financée sont nécessaires pour garantir que ces personnes recevront l’aide nécessaire.
Manquez-vous donc de ressources pour faire face à des besoins si immenses?
Grâce à une solidarité extraordinaire, le HCR a été soutenu à hauteur de 4,5 milliards de dollars par les donateurs en 2020. Ces contributions s’avèrent toutefois insuffisantes face à l’augmentation du nombre de réfugié·ehs provoquée par la multiplication constante des conflits dans le monde.
Le HCR est financé à 86% par les gouvernements, craignez-vous une réduction drastique de l’enveloppe en raison de la crise de la covid-19? Le cas échéant, avec quelles conséquences?
Les conséquences économiques et financières du coronavirus touchent tous les pays, y compris ceux dont les contributions constituent l’épine dorsale du HCR. Malgré ces défis, en décembre 2020, lors de la conférence annuelle des donateurs à Genève, ceux-ci ont promis un montant record de 932 millions de dollars US pour les activités de l’année prochaine. Ces généreuses promesses initiales permettront au HCR de continuer à fournir une aide vitale et à protéger les droits de près de 80 millions de réfugié·e·s, de personnes déplacées et d’apatrides à partir du début de 2021. Comme l’a rappelé le Haut Commissaire, le maintien de l’aide et, surtout, des budgets humanitaires sera «un moyen relativement peu coûteux de sauver des vies, de protéger les personnes vulnérables et de les aider à vivre dans la dignité et la sécurité». J’ajoute que les soutiens financiers ne sont pas les seuls pouvant être mobilisés par les Etats. Les États peuvent aussi fournir une aide à la réinstallation, comme l’ont fait majoritairement l’Allemagne et le Canada en 2020. Au niveau de la Suisse, le Conseil fédéral a fixé le 29 mai 2019 un quota annuel de 800 places de réinstallation au maximum pour la période 2019-2021. Cet engagement est d’autant plus important que la réinstallation a atteint des niveaux très faibles l’an dernier.
En 1950, le HCR a été lancé avec un budget annuel qui se limitait à 300’000 dollars contre 8,6 milliards en 2019. Le HCR est-il devenu le fameux «machin» tant décrié par de Gaulle?
Pour le 70e anniversaire du HCR, le Haut Commissaire a lancé un défi à la communauté internationale: mettez-moi au chômage. Nous appelons à construire un monde dans lequel il n’y a pas besoin d’une agence des Nations unies pour les réfugié·e·s, parce que personne n’est obligé de fuir. En l’état actuel des choses, notre travail est toutefois crucial – et pourtant, le paradoxe est que nous ne devrions pas exister. Le fait que le HCR existe toujours, 70 ans après sa création, n’est donc pas une raison pour se réjouir. Malgré l’appel du Secrétaire général des Nations unies à un cessez-le-feu mondial au début de la pandémie, nous avons pu constater que les conflits, la violence, la discrimination, les violations des droits de l’homme et les crises politiques ont continué durant l’année écoulée.
Les réfugié·e·s sont devenus un thème politique dans de nombreux pays, dont le nôtre. Quels problèmes cela pose-t-il pour les personnes à la recherche d’un asile?
Nous regrettons que la question de l’asile demeure politisée et controversée, malgré des statistiques en forte baisse en Europe et en Suisse. Cela a notamment pour conséquence que le droit d’asile est mis en péril en Europe et ailleurs. Le respect de la vie humaine et des droits des réfugié·e·s n’est pas un choix, c’est une obligation légale et morale. Bien que les Etats aient le droit légitime de gérer leurs frontières dans le cadre du droit international, ils doivent également respecter les droits humains. Il est tout simplement illégal de procéder à des renvois aux frontières. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, la Convention européenne des droits de l’homme et la législation européenne exigent des Etats qu’ils protègent les droits des personnes en quête d’asile et leur imposent de garantir la protection contre le refoulement, même si les personnes sont entrées illégalement dans le pays.
Que fait le HCR pour inciter les Etats à respecter la «Convention relative au statut des réfugiés», précisément celle dont on célébrera le 70e anniversaire le 28 juillet prochain?
Avant tout, nous essayons de promouvoir la mise en œuvre de cette convention en soutenant et en coopérant avec les Etats, par exemple en leur fournissant notre expertise, en élaborant des propositions ou en signalant les bonnes pratiques dans d’autres pays. Nous sommes aussi, lorsque cela est nécessaire, une voix critique, afin d’attirer l’attention sur les problèmes et obtenir du soutien. Nous utilisons aussi des tribunaux ou des organes nationaux et régionaux pour faire évoluer les pratiques problématiques.
Le HCR a-t-il un moyen d’action qui va au-delà des simples injonctions?
Le HCR n’a pas de moyens coercitifs face aux Etats, mais il contribue à la mise en œuvre correcte de la Convention par son travail et en s’exprimant lorsque c’est nécessaire.
En tant que dépositaire de cette convention, la Suisse se montre-t-elle première de classe ou, au contraire, prête-elle flanc à la critique?
La Suisse a une longue tradition humanitaire et a donné aux réfugié·e·s d’un grand nombre de pays la possibilité de commencer une nouvelle vie sur son territoire. Nous en sommes très heureux. Le taux de protection (octroi de l’asile ou admission provisoire après une décision de première instance du Secrétariat d’Etat aux migrations, SEM) de la Suisse est également élevé à l’heure actuelle, et de nombreuses personnes qui demandent une protection la reçoivent. Cependant, nous regrettons que cela ne soit souvent pas fait sur la base de la Convention de 1951 relative au statut des réfugié·e·s. La plupart des personnes ayant besoin d’une protection en Suisse ne se voient accorder qu’une admission provisoire. Malheureusement, le concept de réfugié de la Convention de 1951 est interprété de manière très restrictive en Suisse, de sorte que beaucoup ne sont pas reconnus comme tels. Les groupes de personnes fuyant des persécutions liées aux situations de guerre civile constituent un problème particulier. Nous l’avons critiqué à maintes reprises.
Depuis sa création en 1950, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés a connu 11 Hauts Commissaires, à l’exception de Mme Sadako Ogata, tous des hommes, blancs de surcroît. L’agence est-elle un club de boomer ? A quand un·e chef·fe non caucasien·ne?
Le HCR valorise l’inclusion, la diversité et la parité entre les sexes. Le HCR s’est engagé à atteindre et à maintenir la parité entre les hommes et les femmes à tous les niveaux de responsabilités et à disposer d’un personnel diversifié, inclusif et représentatif de toutes les régions. L’élection du Haut Commissaire relève de l’Assemblée générale des Nations Unies. Pour rappel, les 193 Etats Membres de l’ONU, dont la Suisse, participent à l’Assemblée générale.
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