Aventures archéologiques au Nord du Pérou

Aventures archéologiques au Nord du Pérou

Plus le travail est dur, plus l’aventure est belle! Il y a du Maufrais dans les choix académiques de Sâm Ghavami, lui qui a tourné le dos à l’archéologie romande pour aller se former au Pérou. Aujourd’hui, il y mène des fouilles et parachève une thèse sous la direction de François Gauthier.

Il aurait très bien pu étudier l’archéologie gallo-romaine telle qu’on l’enseigne dans nos universités, puis diriger quelques fouilles ici ou là, tout juste bonnes à colmater quelques interstices d’ignorance dans un édifice d’érudition déjà mastoc. Suivant sa raison, un peu, et son cœur, beaucoup, Sâm Ghavami a pourtant décidé de s’inscrire en Master d’archéologie à l’Université de Lima, au Pérou, et d’y étudier l’émergence d’une civilisation pré-incaïque, la culture Lambayeque, dont l’essentiel reste à découvrir. «Ici, avoue-t-il, j’avais l’impression de ressasser toujours les même thèmes, tandis que là-bas, il me semblait pouvoir écrire l’histoire.» Cette voie n’était pas toute tracée, loin s’en faut, mais, aujourd’hui, Sam Ghavami peut se targuer d’avoir creusé son propre sillon, que d’autres emprunteront peut-être après lui.


Archéologie d’un mythe
Quels sont les mécanismes qui expliquent qu’une société parvienne à surmonter une crise, qu’elle soit d’origine anthropique ou naturelle ou, au contraire qu’elle disparaisse purement et simplement? «C’est l’une des questions fondamentales des pères de l’archéologie, s’enthousiasme Sâm Ghavami. Comment se réinventer sur le plan culturel pour survivre?» Cette interrogation, qui ferait écho chez bien des survivalistes, se trouve au cœur même de sa thèse de doctorat. Celle-ci se penche plus précisément sur la période dite Transitionnelle (850-950 ap.J.-C.) de la côte septentrionale du Pérou, durant laquelle la culture Mochica se voit supplantée par la culture Lambayeque. Afin de mieux comprendre ce processus, Sam Ghavami a entrepris des excavations archéologiques sur le site de la Huaca Pintada, «la pyramide peinte», un gisement susceptible d’illustrer cette période de transformation. C’est une frise murale, découverte par des pilleurs il y a une centaine d’années, qui lui a mis la puce à l’oreille. Bien que disparue aujourd’hui, cette fresque nous est connue par une photographie d’époque, où l’on discerne clairement, d’un point de vue stylistique, ce passage d’une culture à une autre, preuve d’une hybridation de traits culturels Mochica et Lambayeque. Il se pourrait d’ailleurs que cette œuvre représente la légende de Ñaimlap, un héros mythique arrivé par la mer qui aurait fondé la culture Lambayeque. Ce récit, que l’on connaît grâce à un chroniqueur espagnol du XVIe siècle, enthousiasme le doctorant de l’Université de Fribourg: «Pour nous, les archéologues, il s’agit d’une porte inespérée pour comprendre comment une culture se pense, pour appréhender sa cosmovision! Est-il possible de faire l’archéologie de ce mythe fondateur?»

Des fouilles pour creuser la question
Sâm Ghavami a déjà mené deux campagnes de fouilles sur le site de la Huaca Pintada, à la recherche des signes matériels qui trahiraient ces changements culturels. Stables durant plus de huit siècles, la culture Mochica connaît une évolution accélérée, un «bouleversement» sur une ou deux générations: «Cela transparaît dans l’évolution stylistique de la céramique, dans l’architecture et les pratiques funéraires, explique Sâm Ghavami. Or, la perception de la mort est propre à chaque société». Les causes, la thèse de doctorat devra les déterminer, même si les archéologues ont déjà émis plusieurs hypothèses, dont celle d’événements climatiques extrêmes dus au Nino, peut-être conjugués à l’«expansion fulgurante» de la civilisation Huari, ancêtre des Incas. Sam Ghavami compte bien terminer son travail de terrain par une troisième campagne, puis analyser toutes les données en recourant aux méthodes les plus modernes de l’archéologie, telles que l’archéobotanique, les datations radiocarbones ou encore la photogrammétrie par drone.

Une recherche à la croisée des disciplines
Il ne restera ensuite plus qu’à comprendre comment et pourquoi la civilisation Mochica a disparu, puis, à partir de ce cas particulier, échafauder des théories à portée plus universelle. Cette partie-là, Sâm Ghavami, l’a entreprise à l’instigation de François Gauthier, professeur de sociologie des religions à l’Université de Fribourg: «Il n’est ni archéologue, ni spécialiste du Pérou et c’est ce que j’apprécie. Il n’y a pas meilleur moyen de connaître une culture que de s’en extraire. Il m’apporte ce regard extérieur et son immense bagage théorique issu d’une autre discipline.» Confronter les théories sociologiques, philosophiques et archéologiques dans un dialogue interfécond, peut, selon Sâm Ghavami, aider à mieux comprendre ces phases de crise, où le continuum culturel est rompu. «Je n’ai pas la prétention d’aboutir à une réponse, peut-être à des bribes. Et c’est déjà pas mal!»

Ecrin modeste pour un joyau inestimable?
Monticule de terre bordé de cahutes au toit de tôle ondulée, le site de la Huaca Pintada, ne risque pas de voir débarquer des cohortes de touristes. On est loin, ici, des splendeurs du Machu Picchu. Les habitant·e·s de la Pintada, le hameau voisin, n’en sont pourtant pas moins convaincu·e·s que la pyramide recèle un trésor. Cette rumeur qui court parmi les locaux explique la défiance de certains envers les investigations menées par Sam Ghavami. Pour quelle raison, cet archéologue venu du bout du monde se donnerait-il tant de mal à creuser sous un soleil de plomb? Par amour désintéressé de la science? A d’autres! Pour corser le tout, il se raconte que l’esprit de la pyramide n’apprécierait guère qu’on le dérange ainsi. «Le propriétaire du terrain a imputé à nos fouilles la maladie de sa fille, regrette Sâm Ghavami. J’ai essayé de trouver le ton juste, sans mépris, pour lui expliquer que l’esprit de la pyramide était certainement heureux que l’on en apprenne plus sur lui et qu’on ne l’oublie pas. J’ai aussi engagé son fils, afin que le projet puisse profiter à tous.» Des trésors de diplomatie à déployer qui pourraient remplir un livre d’anecdotes… aussi épais qu’une thèse de doctorat.

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The long and winding road! Après un détour par l'archéologie, l'alpage, l'enseignement du français et le journalisme, Christian travaille depuis l'été 2015 dans notre belle Université. Son plaisir de rédacteur en ligne? Rencontrer, discuter, comprendre, vulgariser et par-ta-ger!

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