Le Département des neurosciences de l’Unifr présentera le dernier documentaire «The Brain – Cinq nouvelles du cerveau» du réalisateur lausannois Jean-Stéphane Bron à l’auditoire Joseph Deiss, Boulevard de Pérolles 90, le 10 juin 2022, comme pré-événement du congrès de la Swiss Society for Neuroscience (SSN) qui se déroulera le 11 juin à Fribourg.
Nommé par le Prix du cinéma suisse dans les catégories du meilleur film documentaire et de la meilleure musique, Cinq nouvelles du cerveau touche aux mystères du cerveau humain et aux stupéfiantes avancées scientifiques dans le développement de l’intelligence artificielle. Avec le sublime qui caractérise ses œuvres, Jean-Stéphane Bron a suivi cinq talentueux scientifiques dont les débats et les enjeux interpellent. Téléspectatrices et téléspectateurs en ressortent déstabilisé·e·s mais doté·e·s de nouvelles interrogations sur la nature de la vie et de l’espèce humaine.
Jean-Stéphane Bron a accepté de répondre à nos questions sur ce documentaire à la fois passionnant et déconcertant.
Votre film suscite plus de questions que de réponses, est-ce volontaire?
Oui, je voulais créer un monde qui puisse naître dans la tête des téléspectatrices et des téléspectateurs. L’idée est de leur donner un trajet à faire par leurs propres pensées, qu’elles et ils puissent aller d’une question à l’autre en se livrant à leurs réflexions et en s’ouvrant à un champ illimité au niveau de l’imaginaire. L’iconographie de l’intelligence artificielle est extrêmement pauvre et, plutôt que d’imposer des images stéréotypées, je voulais faire apparaître celles qui sont déjà en elles et eux.
C’est un pari réussi qui nous laisse tout de même un peu plus cartésien·ne qu’avant…
C’est vrai, c’est une bonne lecture! Il y a toute une série de questions que je ne m’étais jamais posées si frontalement. C’est pour cette raison que j’ai aimé commencer ce documentaire avec Alexandre Pouget et sa vision très fataliste de l’humanité. Selon lui, les machines sont en train de prendre un chemin qui va, à terme, nous dépasser. Cette première rencontre m’a totalement ébranlé.
Et changé vos convictions?
Un peu, sans doute. Cela m’a surtout permis de clarifier certaines choses. Ce qui m’a plu, en tant que scénariste, c’est de faire du film un objet qui échappe à mes propres certitudes et même, qui va au-delà: dans une pensée contre moi-même. C’est vrai que c’est un chemin de rationalité, mais dans ce chemin, il y a une sorte de quête très métaphysique sur la vie, telle que l’idée de chercher à comprendre son origine, d’expliquer l’univers ou de décoder le cerveau humain. La démarche scientifique est à la fois rationnelle et faite d’un imaginaire marqué par la fiction, nos fantasmes et nos angoisses millénaires. J’ai trouvé ces deux réalités complètement opposées très intéressantes.
Dans le récit de ces scientifiques, je vois une lecture neuronale de l’apocalypse, comme s’ils avaient remplacé un récit par un autre récit. Je trouve cela très humain, car nous n’arrivons pas à nous passer de ces histoires qui sont pleinement dans un champ de l’imaginaire.
Vous en êtes sûr ou vous l’espérez?
Sans vouloir généraliser, j’ai l’impression que les scientifiques n’échappent pas à leur propre histoire. On cherche souvent à l’endroit où on a une blessure. Je pense que le docteur en neurosciences David Rudrauf incarne bien cela. Dans son envie de maîtrise, il y a forcément une part très intime de lui-même qui cherche à se connecter aux autres, à s’en approcher. L’imaginaire de la science-fiction rencontre aujourd’hui le monde scientifique: il y a en effet des choses très lointaines – comme les robots qui supplantent l’être humain – mais aussi d’autres qui sont concrètes et réalistes, telles que l’implant cérébral qui pourrait moduler notre humeur de façon extrêmement précise. Un hacking généralisé paraît conspirationniste; cependant, les attentions malveillantes sont bien réelles.
On découvre avec le neuroscientifique Niels Birbaumer les histoires de Fabio et de Felix, tous deux atteints par le locked-in syndrome appelé aussi le syndrome d’enfermement. Quelle a été votre approche pour filmer ces moments?
Dans sa quête absolue de vouloir se connecter aux autres, Niels Birbaumer nous prouve ici quelque chose de profondément humain: pour se connecter aux autres, il faut pouvoir communiquer. Ce sont deux histoires extraordinaires, impressionnantes et finalement très contre-intuitives. La science nous apprend que nos intuitions émotionnelles ne sont parfois pas tout à fait les bonnes. La réaction première serait de se demander pour quelles raisons cette personne est encore vivante, pourquoi n’a-t-elle pas voulu être débranchée, a-t-elle envie de vivre ou de mourir? Entendre ces gens et écouter ce qu’ils désirent, c’est là toute la quête personnelle de Niels Birbaumer.
C’est très impressionnant de faire face à ces personnes, ces «gisant·e·s», en quelque sorte. Il faut déjà accepter l’image avant de pouvoir filmer une telle violence.
Vous dites avoir perdu beaucoup de neurones pour faire ce film. Pourquoi?
C’est vrai, je suis parti un peu inconsciemment dans ce documentaire. La première chose, c’était de trouver l’écho d’une histoire à l’autre qui va bien au-delà que de dresser un portrait pour chaque scientifique. Il fallait travailler à ce niveau mental, tout en gardant le film à un niveau cérébral, c’est-à-dire, de faire en sorte que la spectatrice et le spectateur soit submergé·e de questions et ébranlé·e dans ses convictions. J’aime bien l’idée de devoir face à une pensée que l’on a pas forcément envie d’entendre.
Qu’est-ce qui vous a personnellement le plus marqué dans vos rencontres avec les cinq scientifiques?
La première rencontre avec les scientifiques était émotionnellement très forte. J’ai essayé de garder cette émotion tout au long du cheminement avec elles et eux et de la traduire au mieux avec des images.
Ce qui m’a vraiment marqué, c’est d’arriver à connecter leur part intime, de créer un monde cohérent à partir d’elles et eux et de faire rencontrer l’imaginaire de la science-fiction au monde scientifique. C’était une sorte de voyage personnel qui m’a fait débuter par une affirmation d’Alexandre Pouget que l’on va tous disparaître, pour m’emmener très loin dans le futur avec David Rudrauf et ses robots et de finir par relativiser ce cheminement avec Aude Billard. Toutes et tous m’ont amené l’un vers l’autre.
C’était intentionnel de terminer sur une note d’espoir avec la physicienne Aude Billard?
L’idée que la technique va pouvoir tout remplacer et tout imiter du vivant est quelque chose de peu débattu. Je ne voulais pas opposer les scientifiques dans leur camp, car je trouve intéressant d’aller au fond d’une idée, de pouvoir la développer et la présenter. Oui, bien sûr, c’était voulu de terminer avec Aude Billard et son affirmation que le fait qu’un mécanisme puisse copier un organisme n’est pas du tout acquis.
Votre affiche de film pose une question essentielle: «Conscience es-tu là?». D’après vous et surtout après ce tournage, où se trouve-t-elle?
Nous devrions plutôt nous demander si nous sommes prêt·e·s à nous interroger sur ces questions-là qui sont des interrogations très politiques. Comment décide-t-on de définir notre rapport aux machines?
C’est à peu près sûr que nous avons une conscience, mais je ne sais pas si elle se trouve dans le cerveau. Et comment émerge-t-elle? C’est là toute la question…
Réalisateur et scénariste, Jean-Stéphane Bron est né en 1969 à Lausanne. Diplômé de l’Ecole cantonale d’Art de Lausanne (ECAL), il a été maintes fois récompensé. Il est notamment connu pour ses documentaires dramaturgiques proches de la fiction tels que Mais im Bundeshuus/Le Génie helvétique – 2003, Cleveland contre Wall Street – 2010 ou encore L’expérience Blocher – 2013». Cinq nouvelles du cerveau – 2021 a été nommé meilleur film documentaire et meilleure musique par le Prix du cinéma suisse. Plus d’infos sur la projection ici.
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