Nous l’avions rencontré en début d’année pour qu’il nous parle de ses fouilles archéologiques au Pérou. Sâm Ghavami vient d’y faire une découverte cruciale, celle d’une fresque pré-incaïque que l’on croyait perdue à jamais.
En quoi la fresque mise au jour est-elle exceptionnelle?
Elle est remarquable dans la mesure où il est extrêmement rare de pouvoir exhumer des peintures murales d’une telle qualité en archéologie précolombienne. Cette fresque est aussi unique, car elle a une histoire particulière. Elle a été mise au jour en 1916 par un groupe de huaqueros, des pilleurs de tombes, opérant dans l’une des centaines de huacas (les sanctuaires anciens) de la côte nord du Pérou. Il s’agissait alors de l’un des ensembles d’images les plus fantastiques jamais découverts. Celui-ci était exposé le long d’un large mur et illustrait une scène mythologique finement exécutée et en couleurs. L’un des plus importants ethnographes vivant au Pérou à cette époque, Heinrich Brüning, a pris de formidables photos des peintures murales les montrant dans toute leur splendeur. Malheureusement, il se raconte que les pillards ont détruit cette fabuleuse trouvaille, après qu’il leur a été interdit de fouiller davantage le site. Les fortes pluies provoquées par El Niño dans le désert péruvien et le passage du temps ont fini par enterrer les quelques restes et la nouvelle a été oubliée de tous.
Vous pensiez donc que des bouts de fresque avaient échappé à l’avidité des pilleurs?
Effectivement. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de fouiller ce site qui, en un siècle, s’est retrouvé couvert de végétation. Il m’importait de retrouver les éventuels vestiges de cette fresque, mais aussi de les remettre en contexte, afin de comprendre la fonction du site, chose faite désormais. Je souligne que les peintures que nous avons retrouvées n’ont pas été endommagées par les pilleurs, mais étaient enterrées depuis probablement 1000 ans!
Quelle a été votre réaction quand vous avez vu apparaître, petit à petit, les éléments picturaux?
On a définitivement ressenti une grande émotion avec mon équipe. Ça fait quatre ans que je travaille dessus et au moins le double que je suis venu visiter le site pour la première fois. La communauté des archéologues de la région était curieuse de voir ce que mon travail allait donner, mais peu me prédisaient pareil succès. Il faut dire que l’accès au terrain sur lequel se trouve la huaca s’est avéré compliqué, car il appartient à un particulier qui n’a longtemps rien voulu savoir de moi. Les deux premières campagnes de fouilles n’ont pas donné de résultats très prometteurs mais, cette année, je suis tombé par hasard sur une vieille photographie de la fresque qui, en observant les ombres projetées sur les parois, m’a permis de déduire son orientation et son emplacement probable. Ensuite, ça s’est vite enchaîné. D’abord nous sommes tombés sur de petits fragments de peinture sur le sol, puis nous avons retrouvé le haut d’un grand mur. En grattant gentiment la terre contre sa paroi interne, on a vu apparaître la coiffe d’un guerrier.
Pouvez-vous nous décrire cette œuvre?
On sait aujourd’hui que la fresque faisait 30 mètres de long et peut-être jusqu’à 3 mètres de haut! Originellement, on y voyait une longue procession de guerriers finement vêtus se dirigeant vers une divinité centrale aux traits ornithomorphes, les mêmes attributs qui seront ensuite caractéristiques de l’essor de la culture lambayeque. Au-dessus de ces panneaux, les méandres d’une rivière étaient dessinés, transportant son eau fertile et ses nombreux poissons aux habitant·e·s de la vallée.
Et avez-vous pu dater cette fresque?
Son style «métissé» rassemble des éléments de deux cultures pré-incaïques: les Lambayeque, qui se sont développés sur la côte nord du Pérou (900 – 1350 apr. J.-C.), ainsi que leurs ancêtres Mochica (100 – 850 apr. J.-C.). Ce syncrétisme stylistique nous suggère que la Huaca Pintada a pu être témoin du processus de formation d’une nouvelle culture: les Lambayeque, ou Sicán.
Est-ce bien la fresque qui parle de Ñaimlap, ce héros mythique arrivé par la mer, qui aurait fondé la culture Lambayeque?
Il est difficile de tisser des liens directs quand on analyse l’iconographie préhispanique au Pérou. Nous ne disposons d’aucuns textes qui puissent nous raconter les scènes illustrées. En revanche, on peut observer des éléments récurrents en examinant le corpus des images à disposition, qu’elles soient représentées sur les murs, la céramique, le métal ou le textile. Le mythe de Ñaimlap pose les bases de la société lambayeque dans le sens où il raconte une nouvelle vision du monde au moment de l’arrivée du héros qui instaure par son iconisation une nouvelle identité collective. La scène représentée sur la fresque semble s’inspirer de la même idée de hiérarchie sacrée, construite autour d’un culte aux ancêtres et de leurs liens intimes avec les forces de la nature.
Que va-t-il advenir des objets que vous avez découverts, dont certains en or?
Nous allons d’abord passer du temps à les analyser en laboratoire. Ensuite, ils seront tous catalogués, puis stockés dans les dépôts du Ministère de la Culture du Pérou selon le protocole. Mais on m’a offert la possibilité de monter une petite exposition pour présenter les découvertes au public dans le Musée Brüning de Lambayeque, dont le directeur, Carlos Wester, m’a apporté son soutien depuis le début de mes recherches sur place.
Mais l’argent reste le nerf de la guerre!
J’ai une bourse Doc.CH du FNS qui m’a permis de financer les fouilles. Cependant, la grande quantité du mobiliers archéologiques, ainsi que leur qualité exceptionnelle requiert des moyens supplémentaires. Je suis en train de faire les démarches auprès de différentes institutions. J’attends anxieusement leur réponse, que j’espère positive!
- Photos: Sâm Ghavami
- Page de Sâm Ghavami
- Lire l’article et voir la vidéo sur son travail au Pérou, publiés en début d’année 2022
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