«Enseigner n’est pas une science infuse»

«Enseigner n’est pas une science infuse»

Déjà primé l’année dernière à la HES-SO à Sion, Matthieu Jacquemet décroche le Credit Suisse Award for Best Teaching 2022 de l’Université de Fribourg. Il l’a appris alors qu’il bouclait son travail de fin d’études dans le cadre d’un DAS en enseignement supérieur et technologie de l’éducation proposée par l’Université de Fribourg. Son prix lui sera remis lors du dies academicus.

Matthieu Jacquemet est chargé de cours auprès du Département de mathématiques de l’Université de Fribourg. Sa mission: le cours d’analyse propédeutique, soit deux heures d’enseignement et une heure d’exercices données à une cohorte réunissant environ 300 étudiant·e·s de première année de différents horizons, «que je résumerais comme un cours de défense contre les forces du mal», glisse le docteur en mathématique. Il semble qu’il soit parvenu à les vaincre, puisqu’il recevra le Credit Suisse award for Best Teaching 2022, lors du Dies academicus. Un prix qu’il avait déjà reçu l’année dernière à Sion, où il enseigne à la HES-SO Valais. Rencontre.

Pourquoi ce cours serait-il celui de «défense contre les forces du mal»?
Matthieu Jacquemet: Près de 300 étudiant·e·s, issu·e·s des différentes disciplines de la Faculté des sciences et de médecine et d’autres facultés, assistent à ce cours parce qu’il est obligatoire dans leur cursus. Les mathématiques ne sont pas forcément leur tasse de thé. Les a priori contre les maths, l’anxiété et les doutes sont palpables. Pour moi, il était évident que ces éléments devaient être abordés dans le cours, au même titre que les outils mathématiques figurant au programme.

Vous sortez donc du seul contenu académique…
L’enseignement ne doit pas se restreindre à une transmission de contenu. Je le vois plutôt comme un partage d’expériences, qui se vit en groupe, un peu comme du coaching. Je suis enseignant parce que j’ai déjà un certain vécu et que j’ai un peu d’avance sur les étudiant·e·s.

Mais quel est votre secret de super-prof, puisque vous voilà doublement primé pour votre enseignement?
Selon les institutions, la pratique veut qu’une expertise dans un domaine de recherche munisse magiquement de compétences didactiques. C’est une idée contre laquelle je me bats: il n’y a pas de science infuse dans le domaine de l’enseignement. Le secret, c’est de se former. Des études et des recherches sont menées dans le domaine de la didactique. Les outils et leurs bénéfices sont analysés. Il existe donc des ressources pour devenir un·e bon·ne enseignant·e.

Ce qui vous a poussé à fréquenter le Centre de didactique universitaire…
Oui. Quand j’ai commencé mon mandat à Fribourg, je me suis d’abord inscrit en auditeur libre pour un premier module. Constatant l’intérêt de la formation proposée, j’ai finalement poursuivi jusqu’à l’obtention d’un DAS cet été, après un travail de fin d’études réalisé sur le cours d’analyse propédeutique. Par ailleurs, je tiens à préciser que je ne suis pas seul à donner ce cours. Nous sommes une équipe de six personnes.

Quels outils avez-vous déployés pour que votre cours se rapproche de votre vision de l’enseignement?
D’après les études récentes, l’anxiété liée aux maths engendre la même réponse dans le cerveau que la douleur. C’est donc quelque chose que je ne peux pas ignorer dans mon enseignement et qu’on discute durant les cours. Il paraît essentiel de dédramatiser l’erreur. J’aime bien utiliser l’acronyme anglais pour les MATH: Mistakes Allow Thinking to Happen (soit en français: les erreurs permettent à la réflexion d’émerger). C’est l’essence même de la science que de se tromper et de construire sur cette erreur ensuite.

Pour que l’expérience de ce cours réponde au mieux aux attentes des étudiant·e·s, nous leur soumettons un questionnaire sur leurs intérêts et leurs objectifs. L’idée est de pouvoir proposer des exercices qui les concernent et pas juste des modèles mathématiques. L’année dernière, un travail a porté sur le dodo, cet oiseau disparu de l’Ile Maurice à la fin du XVIIe siècle. Il s’agissait de prouver par des calculs si son envergure lui permettait ou non de voler. Il a aussi été question de vitesse de diffusion dans le sang d’un antibiotique ou d’une invasion de zombies.

Quid du côté partage d’expériences?
Je suis un gamer invétéré, tout comme certain·e·s de mes assistant·e·s. Durant la période de semi-confinement que nous a imposé la pandémie de covid, nous avons introduit un serveur Discord. Après six mois d’uni, tous ces étudiant·e·s se retrouvaient cloué·e·s à la maison. Il s’agissait à la fois de répondre à leurs questions sur les maths par le biais d’un forum, mais aussi de leur proposer des interactions sociales. Il y a eu des échanges de recettes de cuisine, un jukebox en ligne et un concours de memes. Le Moodle de l’Unifr était utilisé comme un répertoire centralisé pour la documentation et les annonces officielles. Le Discord est devenu le lieu de vie de la communauté du cours. Mais il restait une proposition, sans rien d’obligatoire et avec une forme d’anonymat. Ça a tellement bien marché qu’on a gardé le concept.

C’est-à-dire?
A chaque rentrée, un nouveau serveur Discord est mis en place pour accompagner la volée estudiantine. L’ancien est tué, mais un serveur alumni a été ouvert pour celles et ceux qui souhaitent rester en contact. Je ne m’y attendais pas du tout, mais certain·e·s ancien·ne·s ont demandé à intégrer le Discord actuel pour aider les nouvelles et les nouveaux. Les élèves se sont vraiment approprié l’outil.

Ce prix est doté de 10’000 francs, une somme qui doit servir à l’enseignement. A quoi allez-vous l’utiliser?
Ce montant sera dédié à trois idées. D’abord, j’ai été biberonné à l’émission C’est pas sorcier et une partie de la somme servira à acheter du matériel afin de réaliser des expériences et des démonstrations durant le cours. Par ailleurs, je souhaite que l’Unifr puisse accueillir les demi-finales régionales du Championnat international de jeux mathématiques et logiques, ouverts à tous dès la 5H. A l’heure où on cherche à convaincre les jeunes de s’intéresser aux domaines scientifiques, c’est dommage de ne pas ouvrir les portes de notre institution à une telle manifestation.

Enfin, j’aimerais pouvoir inviter, pour un cours de fin d’année, des personnalités ayant un rayonnement hors du commun et un lien direct avec les sciences. Le but d’une telle invitation sera de prendre de la distance par rapport au cours, mais aussi de mettre en lumière l’apport potentiel des mathématiques et des sciences en général dans un parcours de vie. Je rêve, par exemple, de recevoir Angela Merkel pour qu’elle nous explique ce que sa formation de physicienne lui a apporté dans son rôle de chancelière.

Un prix reçu sur proposition estudiantine
Avec le Credit Suisse Award for Best Teaching, la Credit Suisse Foundation apporte une contribution importante à la qualité de l’enseignement académique dans les domaines universitaire et scientifique. Les universités, les hautes écoles techniques et les hautes écoles spécialisées de Suisse ont la possibilité de remettre ce prix à des enseignant·e·s et des équipes exceptionnel·le·s.

Pour la Credit Suisse Foundation, le critère décisif pour la sélection des lauréat·e·s est le type de transfert de connaissances spécial, innovant, créatif, efficace et efficient. La procédure et la nomination relèvent de la seule responsabilité des universités. A l’Université de Fribourg, ce sont les étudiant·e·s qui peuvent proposer les enseignant·e·s méritant de recevoir ce prix.

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  • Matthieu Jacquemet a grandi en Valais. En 2005, il rejoint l’Université de Fribourg pour y étudier les mathématiques et la philosophie. Son master terminé, il entreprend un doctorat en mathématiques qu’il boucle en 2015. Un postdoc l’emmène alors à l’Université Vanderbilt, dans la région de Nashville (USA). A son retour en Suisse, il devient enseignant à la HES-SO Valais, à Sion, à 80% et chercheur à Fribourg, à 20%. Depuis 2019, il est chargé de cours du Département de mathématiques pour l’analyse propédeutique.
  • Légende de la photo: Pour Matthieu Jacquemet (au centre, entouré d’une partie de son équipe), le secret pour devenir un bon enseignant, c’est de se former. Et d’ajouter que, pour son cours d’analyse propédeutique, il n’est pas seul: «C’est le travail de toute une équipe!»

Author

Exerce d’abord sa plume sur des pages culturelles et pédagogiques, puis revient à l’Unifr où elle avait déjà obtenu son Master en lettres. Rédactrice en chef d’Alma & Georges, elle profite de ses heures de travail pour pratiquer trois de ses marottes: écrire, rencontrer des passionnés et partager leurs histoires.

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