Connaissez-vous la profession de la personne que vous venez de croiser dans le couloir? Notre Université est une véritable malle aux trésors de connaissances et de savoir-faire. Dans cette série, nous vous emmenons à la découverte des personnes et des métiers qui font vivre notre institution au quotidien. Pour ce troisième épisode, c’est Hugo Bizzarri, professeur en littérature médiévale et histoire de la langue espagnole, qui nous raconte son Unifr.
Hugo Bizzarri, comment se passent vos journées à l’Université de Fribourg?
J’ai une routine, mais elle est variée. Je répartis mes cours sur trois jours par semaine, ce qui me permet d’avoir une présence régulière dans le Département. Je passe deux jours à la maison ou à la bibliothèque pour préparer des cours ou mes propres recherches. Il s’agit, bien sûr, de mon plan idéal; cette routine peut être modifiée par la participation à des commissions ou à des activités de l’Institut d’études médiévales. Vu de l’extérieur, on pourrait croire qu’il s’agit d’une profession ennuyeuse; cependant, pour l’enseignant universitaire et le chercheur, c’est tout un monde qui prend vie. Chaque préparation de cours, chaque lecture nous plonge dans des mondes très différents. Jorge Luis Borges avait l’habitude de dire qu’il n’était pas fier de ce qu’il avait écrit, mais de ce qu’il avait lu. Je partage son point de vue, même si j’accepte les distances entre lui et moi.
Travailler dans une université, c’est une ambiance particulière. Qu’est-ce qui vous plaît le plus / le moins?
En effet, le travail d’un professeur d’université se situe en dehors des paramètres normaux du marché du travail. J’apprécie beaucoup l’atmosphère de collaboration qui règne dans notre département et à l’Institut d’études médiévales. Le travail interdisciplinaire est indispensable aux études médiévales. J’aime beaucoup le contact avec les étudiant·e·s et, dans mes cours, j’essaie de leur transmettre la passion des études médiévales, de leur apprendre qu’une histoire de la langue n’est pas seulement une étude de la morphosyntaxe: c’est aussi une façon d’étudier l’évolution de la pensée, de la manière de l’exprimer. Ce qui me passionne le plus, c’est la recherche. J’essaie donc d’avoir un contact direct et fluide avec les assistant·e·s et les doctorant·e·s. Notre obligation, en tant que directeur de thèse, n’est pas simplement de corriger une dissertation, c’est avant tout la transmission d’un métier, d’un savoir faire. C’est ce que mon directeur de thèse m’a transmis et ce que j’essaie de transmettre à mon tour. Ce savoir-faire ne s’obtient pas par des rendez-vous ponctuels, mais par le contact quotidien, l’échange fluide d’idées. Naturellement, tout a un prix. Et celui à payer pour tout cela est un travail administratif de plus en plus lourd et contraignant. Je reconnais que c’est tout à fait nécessaire. Depuis une dizaine d’années, l’Université s’efforce d’harmoniser les programmes d’études et les règlements, afin de permettre la mobilité à l’intérieur et à l’extérieur de l’institution. Dans le passé, les étudiant·e·s étaient confrontés à des réglementations différentes dans chaque branche, ce qui rendait leurs études difficiles.
Quel est votre lieu préféré?
La bibliothèque. Bien entendu, notre bibliothèque ne peut être comparée à la British Library, à la bibliothèque du Monastère de l’Escorial ou à la bibliothèque de Saint-Gall. Mais une bibliothèque est toujours un endroit spécial, même si chaque fois que j’y entre, je me souviens du conseil de Pedro Alfonso de Huesca, un sage juif aragonais qui a vécut au XIIe siècle: «Lis tout ce que tu trouves, mais ne crois pas tout ce que tu lis» («Quicquid inuenies legas, sed non credas quicquid legeris»).
Y a-t-il des avantages dont vous aimez profiter?
L’Université offre de nombreux services, mais je n’en profite généralement pas. J’ai fait du karaté pendant 20 ans, mais je ne me suis jamais intéressé au karaté à l’Université de Fribourg. Je préfère la diversité dans ma vie. Je pense qu’il est bénéfique d’être dans d’autres environnements, plutôt que d’être confiné à mon cadre de travail. Par contre, j’aime bien me balader dans le Jardin botanique.
Si vous deviez conseiller à quelqu’un de postuler à l’Unifr, vous lui diriez quoi?
Il est très difficile de conseiller quelqu’un sur une candidature. Dans une carrière universitaire, nous sommes constamment confronté·e·s à des décisions sur la manière dont nous voulons orienter notre carrière. Ce sont des décisions personnelles. Nous «faisons» une carrière, elle n’est pas «faite» pour nous. Je peux seulement transmettre mon expérience.
Quel est votre outil, votre instrument de travail fétiche?
De plus en plus attachée à l’ordinateur et aux Digital Humanities, je trouve un vrai plaisir à revenir au papier et au stylo. Mes notes dans mon journal de recherche restent un outil indispensable dans mon travail, même si aujourd’hui, il est préférable de faire l’éloge des Digital Humanities. C’est une habitude que j’ai prise dans mes années de formation et que je conserve encore aujourd’hui. Je conseille toujours à mes doctorant·e·s de faire cela, mais je n’ai pas eu d’écho. C’est peut-être un signe que les temps changent.
Racontez-nous une anecdote typique/drôle/touchante sur votre travail.
Une fois, je suis allé avec ma femme à la Bibliothèque municipale de Madrid (Cuartel del Conde Duque) pour voir un manuscrit. Ma femme est restée dans la salle centrale de la bibliothèque pendant qu’on m’emmenait au cabinet des manuscrits. Le bibliothécaire a verrouillé la porte et m’a laissé là. Quelques heures plus tard, le bibliothécaire a terminé sa journée de travail. Il a laissé les clés de la bibliothèque à ma femme et il est parti en nous disant de les rendre le lendemain. Ma femme, soudainement transformée en bibliothécaire, m’a libéré, a éteint les lumières et a tout verrouillé. Aujourd’hui, tout a changé, mais il y a 20 ans, cela pouvait arriver.
Qu’est-ce qu’un bon employeur selon vous?
Un bon employeur nous permet d’exprimer notre propre identité au travail, de développer nos propres capacités. Cela devient de plus en plus difficile dans le monde du travail moderne. L’Université de Fribourg m’a permis de développer mes compétences, d’être moi-même sur mon lieu de travail.
Chaque année, Le Temps et la Handelszeitung s’associent à l’organisme de statistique Statista afin d’établir un classement des Meilleurs Employeurs de Suisse. Le télétravail obligatoire, la gestion de ses séquelles, ainsi qu’une adaptation à la nouvelle donne composée, entre autres, d’une volonté des collaboratrices et collaborateurs de gérer leur temps et leur lieu de travail de manière plus flexible et autonome, représente un grand défi pour les entreprises et les institutions, relèvent-ils. Le classement des Meilleurs Employeurs 2022 a identifié plus de 1’500 employeurs comptant au moins 200 collaboratrices et collaborateurs. L’Université de Fribourg, avec ses 2’500 employé·e·s, figure à la 177e place du classement général et à la 17e dans la catégorie éducation et recherche.
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- Hugo Bizzarri est professeur de Philologie hispanique et Histoire de la langue au Département d’espagnol et est membre de l’Institut d’études médiévales, dont il a été président à deux reprises. Né en Argentine, il a étudié à l’Université Nationale de La Plata, puis fait son doctorat à l’Université de Buenos Aires. C’est alors qu’il a commencé à s’intéresser à l’étude du Moyen Âge, des manuscrits et des imprimés anciens. Il faisait partie de l’Instituto de Edición y Crítica Textual, le premier laboratoire entièrement consacré à l’étude des manuscrits et à l’édition de textes dans le milieu hispanique. D’abord maître d’enseignement à l’Université de Buenos Aires, et après une brève période à l’Université de Bâle, il est devenu professeur associé à l’Université de Fribourg en 2002.
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