Finlande: les soubresauts de la Guerre froide

Finlande: les soubresauts de la Guerre froide

Décision historique, la Finlande renonce aujourd’hui à sa neutralité et se tourne vers l’OTAN. Les accords d’Helsinki avaient pourtant jeté les bases d’un dialogue entre les blocs de l’Est et de l’Ouest durant la Guerre froide. Un pan d’histoire parmi d’autres au menu de la «Semaine finlandaise», du 7 au 11 novembre à Fribourg.  

Si le conflit ukrainien renvoie aux heures sombres de la Guerre froide, il constitue un tournant majeur dans l’histoire de la Finlande. Ce pays nordique, qui partage 1340 kilomètres de frontière avec la Russie, a tourné le dos à sa neutralité avec sa demande d’adhésion à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Un renversement sans précédent pour cet Etat qui a longtemps constitué un pont entre l’Est et l’Ouest.

C’est dans la capitale de ce pays neutre qu’ont en effet été posées les premières pierres de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), plateforme de discussions Est-Ouest issue de la Guerre froide qui compte aujourd’hui 57 Etats membres, et qui reste l’un des rares espaces à réunir diplomates russes et ukrainien·ne·s.

Aujourd’hui souvent ignorée, voire mésestimée face à des institutions comme l’OTAN ou l’Union européenne, l’OSCE a pourtant joué un rôle important jusque dans les années 1990. A l’origine, il s’agissait de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), dont la phase préparatoire a commencé en novembre 1972 à Helsinki pour aboutir à un Acte final en août 1975.

Stéphanie Roulin | © Stéphane Schmutz / STEMUTZ.COM

Le premier pas de l’URSS
«Ces pourparlers interviennent dans une phase de détente entre les deux blocs», souligne l’historienne Stéphanie Roulin. Lectrice au Département d’histoire contemporaine de l’Université de Fribourg, elle organise avec le Professeur Matthieu Gillabert une «Semaine finlandaise» à l’occasion du 50e anniversaire des accords de la Conférence d’Helsinki.

Du 7 au 11 novembre 2022, plusieurs manifestations reviendront sur l’histoire de la Finlande, sur la neutralité, ainsi que sur le rôle des organisations non gouvernementales à la fin de la Guerre froide. Une histoire méconnue qu’il convient de relire à l’aune des récents événements en Ukraine, au moment où les fronts se durcissent entre Moscou, l’Europe et l’Alliance atlantique.

Au tournant des années 1970, c’est pourtant de l’URSS qu’est venue l’initiative d’une conférence avec les pays d’Europe de l’Ouest. «Moscou souhaite si ardemment que les frontières issues de la Seconde Guerre mondiale soient reconnues, qu’elle accepte la présence des Nord-Américains dans les négociations», précise Stéphanie Roulin.

Les trois «corbeilles»
A l’ouest du rideau de fer, en revanche, les préoccupations portaient surtout sur les libertés individuelles et les droits humains. Sur la possibilité, par exemple, pour un·e Allemand·e de l’Est d’être réuni·e avec sa famille en RFA, ou pour un·e croyant·e soviétique d’inculquer sa foi à ses enfants. Un souci partagé par la Suisse qui, comme le Saint-Siège, a intégré la CSCE dès le départ. L’historienne relève que «la Suisse souhaitait surtout voir le principe de neutralité inscrit dans les accords».

Il s’agissait de faire reconnaître cette posture politique sur la scène internationale de l’après-guerre, celle d’une Suisse «neutre» et «solidaire», celle «des bons offices». «Les accords d’Helsinki ont joué un grand rôle dans l’intégration de la Suisse au niveau international. C’était la première conférence paneuropéenne à laquelle elle prenait part de plein droit après 1945. Cela lui a permis d’être partie prenante aux conférences de suivi qui ont eu lieu jusqu’à la fin de la Guerre froide.»

Non contraignants, les accords d’Helsinki constituent une déclaration de dix principes, une feuille de route que les pays signataires n’ont pour la plupart pas toujours respecté. Ce «décalogue» se déclinait en trois thèmes, ou «corbeilles». A savoir les dimensions politique et sécuritaire, économique et de coopération et enfin, la dimension humaine.

Les ONG, caisses de résonance à l’Ouest
Moscou était loin de l’imaginer alors, mais cette dernière dimension des accords, celle des libertés individuelles, sera l’un des facteurs qui conduiront à la fin de l’URSS. Car dans les pays de l’Ouest, des organisations non gouvernementales œuvraient à relater et dénoncer les difficultés des dissident·e·s au régime communiste derrière le rideau de fer.

«Parmi ces organisations, certaines étaient ancrées religieusement et beaucoup étaient estampillées comme anticommunistes», explique Stéphanie Roulin. «Elles cherchaient à documenter scientifiquement et à dénoncer d’abord le sort des croyant·e·s, puis d’autres dissident·e·s dans les pays communistes.»

Des ONG comme Glaube in der zweiten Welt (G2W), basée à Zurich et toujours active, ou le Centre for study of religion and communism, à Londres, connu dès 1973 sous le nom de Keston College, collectaient, traduisaient et diffusaient des «samizdats», des écrits clandestins censurés à l’Est.

Fondée en 1977 par G2W avec le concours de l’ancien conseiller fédéral Rudolf Friedrich, la Schweizerische Helsinki Vereinigung (SHV) s’attachait au monitorage de la troisième corbeille des accords. Comme d’autres «groupes d’Helsinki» à l’Ouest, elle pouvait compter sur des appuis politiques à l’échelon national et des relais diplomatiques au sein de la CSCE. Ces groupes ont représenté une importante caisse de résonance des dissident·e·s de l’Est vers l’Ouest.

Pour l’historienne, il faut se garder d’une lecture binaire. «Ces groupes et ONG étaient sincères, mais certains étaient aveugles sur les contradictions dans les pays de l’Ouest. Ainsi, la Suisse défenseuse des libertés a pratiqué les placements administratifs jusqu’en 1981 – et que dire du traitement de minorités comme les Yéniches ou celui des objecteurs de conscience?»

Le temps des désillusions
Reste que ce travail des ONG dans les coulisses de la politique internationale a participé à la fin du bloc soviétique. «Les facteurs principaux de l’effondrement étaient économiques, avec des pénuries devenues endémiques à l’Est, mais les garanties en matière de libertés de penser et d’écrire devenaient importantes. Pour Moscou, c’était une question d’image face à l’extérieur.»

La chute du mur et ses suites conduiront à de grandes désillusions, à commencer par la guerre en Yougoslavie, précise encore l’historienne. Autre constat décevant, celui de l’incapacité de l’OSCE à prévenir l’escalade du conflit qui a conduit à l’agression de l’Ukraine par la Russie, celui de la faillite de la voie du dialogue, même si des échanges se poursuivent.

Guy Vinet, ancien fonctionnaire international de l’OSCE, relève qu’en attaquant son voisin, la Russie viole sept des dix principes des accords d’Helsinki: «le respect des droits liés à la souveraineté, la limitation de l’usage de la force, l’intangibilité des frontières, l’intégrité territoriale des Etats, le règlement pacifique des conflits, la non-intervention dans les affaires intérieures, la coopération entre les Etats et la libre détermination des peuples».

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Pierre Koestinger est journaliste indépendant.

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