Les jeux vidéo à la rescousse des médicaments

Les jeux vidéo à la rescousse des médicaments

Gamer serait mauvais pour la santé. Vraiment? Dans la foulée des serious games, une nouvelle génération de jeux vidéo à but thérapeutique voit le jour. Ils nourrissent les espoirs de certain·e·s patient·e·s désespéré·e·s, dont celles et ceux qui souffrent de douleurs chroniques.

Addiction, baisse de l’empathie, sécheresse oculaire, raideur au niveau de la nuque, surpoids: les jeux vidéo peuvent être à l’originaire d’une ribambelle d’affections. Depuis 2018, l’Organisation mondiale de la santé reconnaît même officiellement un «trouble du jeu vidéo». Il se caractérise notamment par une perte de contrôle sur le jeu ou la pratique croissante du gaming en dépit de répercussions dommageables. Des constatations qui interpellent d’autant plus que, fin 2019, près de 2,5 milliards de personnes étaient adeptes des jeux vidéo dans le monde, selon le magazine Wired.

Alors, le gaming, fléau du siècle? Pas si vite! Car, parallèlement, les jeux vidéo sont en mesure de contribuer efficacement à la lutte contre certains maux. Après celle des serious games (ou «jeux sérieux»), l’heure des jeux thérapeutiques a sonné. Dans Voracy Fish, l’un des pionniers du genre, le gamer contrôle un poisson affamé. But récréatif de ce jeu conçu par l’entreprise Genius Games? Faire grossir l’animal aquatique en avalant d’autres petits poissons. L’objectif thérapeutique, quant à lui, est la rééducation du membre supérieur – grâce aux mouvements exercés avec le joystick, la souris ou directement sur la tablette – pour les personnes victimes d’un accident vasculaire cérébral. Concentré·e·s sur cette activité ludique, les patient·e·s en oublient qu’ils font, en fait, des exercices classiques de rééducation fonctionnelle.

Le jeu Snow World, développé par des chercheurs de l’Université de Washington, est pour sa part destiné aux grand·e·s brûlé·e·s. Equipé·e d’un casque, la joueuse ou le joueur est virtuellement plongé·e dans un univers de glace, où elle ou il doit lancer des boules de neige sur un groupe de pingouins qui s’avance. En détournant l’attention des patient·e·s et en les immergeant dans un décor hivernal et froid, on fait baisser aussi bien leurs douleurs que leur anxiété, par exemple lors du changement des bandages. A noter que d’autres axes sont explorés par les thérapies vidéoludiques, notamment la stimulation des personnes atteintes de maladies neurodégénératives, afin d’en ralentir la progression.

Limite des médicaments
«Les jeux vidéo procurent du plaisir aux personnes qui s’adonnent à cette activité; or, lorsqu’on adhère à un traitement qui comporte cette dimension ludique et plaisante, il y a de fortes chances qu’il soit davantage couronné de succès», commente Joelle Chabwine, collaboratrice scientifique auprès du Département des neurosciences et des sciences du mouvement de l’Unifr. En outre, «la distraction engendrée par le gaming a une action directe sur les fonctions cognitives, car elle mobilise les ressources attentionnelles». Il ne faut donc pas sous-estimer ses effets, qui seraient «loin d’être périphériques», estime la neurologue.

En ce qui concerne spécifiquement l’utilisation des jeux vidéo chez des patient·e·s souffrant de douleurs, la médecin adjointe à l’HFR – qui participe à plusieurs recherches liées à la compréhension des mécanismes et à la gestion de la douleur – souligne qu’il s’agit d’une approche ayant un potentiel «vraiment intéressant». Et de rappeler qu’on «arrive gentiment à un plafond au niveau de ce qu’il est possible de faire dans ce domaine avec des médicaments». Dès lors, «à moins d’une découverte scientifique révolutionnaire, nous n’avons d’autre choix que d’explorer beaucoup plus intensivement d’autres solutions, notamment les approches non-médicamenteuses». Les spécialistes se tournent vers l’hypnose, la stimulation cérébrale par l’électricité et le champ magnétique ou encore l’acupuncture. «De plus en plus, l’idée est de cibler plusieurs mécanismes à la fois.»

Joelle Chabwine précise: «Longtemps, la douleur a été appréhendée comme un symptôme mais désormais, avec l’explosion des cas de douleurs chroniques et le progrès des connaissances, elle est considérée comme une maladie à part entière.» Un vrai changement de paradigme. «Le cerveau d’un patient qui souffre de douleurs chroniques semble fonctionner différemment de celui d’un individu sans douleur; les médicaments antidouleurs traditionnels, conçus pour traiter les symptômes dans un cerveau normal, atteignent donc leurs limites.» Le hic? «On ne sait pas encore précisément quels sont les mécanismes qui régissent le fonctionnement du cerveau d’un douloureux chronique.»

Suivi médical à distance
Selon la neurologue, «les jeux vidéo ont tout pour faire entièrement partie de la nouvelle approche». Elle regrette d’ailleurs que, à ce stade, ce soit surtout le côté distractif du gaming qui soit exploré, aussi efficace soit-il. «A mon avis, on peut aller beaucoup plus loin, cibler les mécanismes de la douleur.» Sans oublier les avantages d’ordre pratique, notamment le fait de pouvoir utiliser cet outil en groupe ou de permettre un suivi médical à distance.

Reste que le chemin est encore long et n’est pas dénué d’embûches. Sans surprise, l’aspect financier en est une. «Créer un jeu vidéo destiné à une utilisation thérapeutique spécifique coûte cher, comme l’a montré le lancement de Neuria. Lucas Spierer, le créateur de cette start-up fribourgeoise, est un collègue proche avec lequel je collabore étroitement, y compris dans le cadre de certains projets en lien avec la douleur.» Reste que «développer un jeu sera toujours meilleur marché que de développer un nouveau médicament…»

Autre obstacle? «Il faudrait que les concepteurs·trices de jeux et les médecins se parlent davantage.» Pour l’instant, un fossé sépare encore les mondes du gaming et de la santé. «Certains domaines, tels que la pédiatrie, la chirurgie ou l’anesthésie sont certes relativement ouverts à l’utilisation des jeux vidéo dans la pratique médicale», observe Joelle Chabwine. Mais dans de nombreux autres, «les thérapies alternatives sont déjà difficiles à faire passer, alors imaginez les jeux vidéo!» Cette réticence, la spécialiste la regrette d’autant plus que les patient·e·s atteint·e·s de douleurs chroniques «sont souvent désespéré·e·s et prêt·e·s à tout essayer pour soulager leur mal.»

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  • Joelle Chabwine est neurologue. Médecin adjointe au Service de neurologie de l’HFR, elle travaille par ailleurs en tant que chercheuse et enseignante auprès du Département des neurosciences et des sciences du mouvement de l’Unifr.

Author

Journaliste indépendante basée à Berne, elle est née au Danemark, a grandi dans le Canton de Fribourg, puis a étudié les Lettres à l’Université de Neuchâtel. Après avoir exercé des fonctions de journaliste politique et économique, elle a décidé d’élargir son terrain de jeu professionnel aux sciences, à la nature et à la société.

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