Un placebo contre la douleur est-il perçu différemment par le cerveau si l’on a déjà une expérience préalable réelle de la morphine? La réponse est non, selon les travaux réalisés par Corentin Wicht dans le cadre de sa thèse en neurosciences. En revanche, le niveau de douleur ressentie baisse de manière significative.
Le cerveau n’anticipe pas les effets de la morphine, même s’il connait déjà cet anti-douleur. «Nous voulions savoir si le modèle théorique admis, stipulant que les placebo réactivent les réseaux ciblés par les substances actives, se confirmait, et ce n’est pas le cas.» Pour parvenir à cette conclusion, le Docteur Corentin Wicht a soumis une septantaine de volontaires à des tests en laboratoire. Ces travaux ont été réalisés dans le cadre de la thèse en neurosciences qu’il vient de terminer sous la direction du Docteur Lucas Spierer dans la Section de médecine de l’Université de Fribourg.
«On s’attendait, selon le modèle théorique, à voir le cerveau adopter d’autres stratégies pour les personnes ayant déjà reçu un traitement aux opiacés, souligne le chercheur. Or, les enregistrements par électroencéphalogramme (EEG), pourtant très sensibles, n’ont montré aucune différence entre les deux groupes.»
Pour réaliser son étude, Corentin Wicht a cherché deux populations distinctes de volontaires. Une moitié des 70 personnes avaient déjà été soignées avec de la morphine ou d’autres opiacés, l’autre moitié connaissait les effets de ces produits, mais sans en avoir eu une expérience réelle. .
Conditionnement imperceptible à l’EEG
«Toutes ces personnes étaient en bonne santé au moment des tests», précise le scientifique. Et toutes pensaient participer à une expérience sur les effets de la morphine. Pour elles, l’injection réalisée au cours du test contenait donc forcément une dose d’anti-douleur.
«Mais nous n’avons injecté que des solutions salines, soit un placebo, puisque nous voulions savoir si la connaissance des effets d’un produit induisait son anticipation par le cerveau.» Les volontaires se sont soumis à une expérience d’environ deux heures.
Suivis par EEG, les participant·e·s ont d’abord été soumis à la douleur – induite par des pulses de chaleurs sur l’avant-bras – sans soins particuliers. Le même schéma a ensuite été répété, après l’injection de ce qu’ils pensaient être de la morphine.
«Il y a certainement un conditionnement particulier de la part des personnes qui avaient déjà reçu des opiacés, mais il est imperceptible à la lecture de l’EEG», relève Corentin Wicht. Les schémas de réaction dans le cerveau sont les mêmes que pour les personnes ayant uniquement une connaissance verbale des effets de la morphine.
«Ce qu’on a pu observer d’intéressant, en revanche, ajoute le chercheur, c’est une baisse de la perception de la douleur d’environ 10% pour l’ensemble des participant·e·s. Cela pourrait paraître anecdotique, mais il faut savoir que, scientifiquement, on considère comme cliniquement significative une réaction lorsque celle-ci atteint environ 15%.»
Les résultats de ces travaux font l’objet d’une publication dans le European journal of neuroscience.
Effets de la caféine surestimés
Dans le cadre de ses travaux de thèse, le Fribourgeois a également mené une expérience sur les effets du café et de la caféine, en lien avec les circuits de l’attention dans le cerveau. «Si le café a bien un effet sur les réseaux du cerveau, les résultats de mes travaux montrent que les effets de la caféine sur l’attention sont surestimés.» Cette étude fait également l’objet d’une publication scientifique, dans la revue Cortex.
Quant à la thèse de doctorat de Corentin Wicht, elle est terminée depuis février et a été défendue en mars. «Le laboratoire des Sciences de la neuroréhabilitation du Docteur Lucas Spierer poursuit ses recherches dans le domaine et de nouveaux travaux ont été lancés dans un objectif d’application clinique, souligne le scientifique. De nombreuses études sont menées sur l’effet placebo, mais son utilisation reste problématique pour des questions d’éthique. Comment prescrire un placebo sans mentir?»
Une thèse financée par le programme Doc.CH
Corentin Wicht a mené à bien sa thèse de doctorat grâce au programme Doc.CH du Fonds national suisse (FNS). Cette bourse individuelle permet de financer des projets proposés par des chercheurs et des chercheuses prometteurs dans le domaine des sciences humaines et sociales.
«Les critères d’attribution sont assez exigeants et seul 20% des dossiers aboutissent», note Corentin Wicht, qui a dû s’y reprendre à deux fois avant d’obtenir son sésame. Il en parle d’ailleurs dans cette vidéo. «Ce concept est intéressant pour le superviseur qui peut ainsi accueillir un·e doctorant·e sans que cela touche à son propre budget.» L’argent revient en effet directement à la doctorante ou au doctorant et non pas au projet du superviseur.
Ainsi, après un premier contrat limité à un an sous la houlette du Docteur Lucas Spierer, Corentin Wicht a déposé une demande auprès du FNS afin de poursuivre ses travaux. Son dossier n’ayant pas abouti, il commence alors un autre projet de thèse à l’Université de Lausanne, avant de reformuler sa demande pour le projet initial et de décrocher un financement par le biais de programme Doc.CH.