La façon dont on perçoit certaines questions dépend du regard que la société ou les médias nous proposent. Analyser le rôle que jouent les médias dans la représentation sociale du handicap chez les enfants ou observer quelles sont les représentations sur la sexualité des femmes avec déficience intellectuelle: deux mémoires de bachelor en pédagogie spécialisée à l’Unifr ont fait l’objet de publications dans la revue d’information sociale REISO.
Will est un garçon de 9 ans en fauteuil roulant. Chaque semaine, une chaîne TV grand public française diffuse les aventures de cet enfant sous forme de capsules animées. Deux éléments distinguent le jeune héros des autres personnages en situation de handicap qui apparaissent généralement sur le petit ou le grand écran: Will n’est ni un «super-handicapé» aux pouvoirs quasi magiques, ni, à l’inverse, une caricature ambulante. Il s’agit d’un enfant bien dans son corps et dans sa tête, qui fait les 400 coups avec ses copains.
«Globalement, il y a peu de séries et de films montrant des personnages en situation de handicap; lorsque c’est le cas, la présence du handicap est souvent mise en avant et surfaite», constate Chloé Jaccard. Cette étudiante – qui a réalisé son travail de bachelor en pédagogie spécialisée à l’Unifr sous la direction de Sophie Torrent – cite l’exemple des séries dans lesquelles un autiste brillantissime aide la police à résoudre des énigmes ultra-compliquées.
«J’ai eu l’occasion de travailler avec des jeunes en situation de handicap et j’ai constaté qu’ils ont tendance à s’identifier aux héros ‹beaux et valides›, qu’ils se reconnaissaient très peu dans les personnages en situation de handicap.» Parallèlement, l’étudiante a observé qu’à une époque où l’accent est mis sur l’inclusion scolaire, «il manque encore cruellement de travaux sur les représentations sociales des personnes en situation de handicap». D’où l’idée de consacrer son mémoire de bachelor à cette thématique.
Petits moyens, grands effets
«Plus il est rare d’expérimenter le sujet social dans son quotidien, plus l’influence des médias est grande», rappelle Chloé Jaccard, citant la littérature spécialisée. C’est d’autant plus le cas chez les enfants, dont ils constituent la principale source de connaissances. L’objectif de la jeune chercheuse était d’analyser l’effet de la projection de Will sur les représentations sociales des enfants. Menée sur septante élèves vaudois âgés de 8 à 10 ans, l’étude a eu recours à la technique de l’association libre et de l’évocation hiérarchisée. Les écolières et écoliers ont ainsi dû associer cinq mots au terme «personne handicapée en chaise roulante», puis les classer par ordre d’importance. Ils ont ensuite visionné le dessin animé durant dix semaines en classe, période au terme de laquelle une nouvelle récolte de données a eu lieu.
Après avoir analysé l’ensemble des réponses, Chloé Jaccard s’est rendu compte que certains éléments avaient résisté au changement. «Il s’agit des termes ‹triste›, ‹gentil› et ‹pas de chance›, qui constituent alors le noyau dur de la représentation sociale du handicap», écrit-elle dans un article publié par la revue d’information sociale REISO. A l’inverse, le terme «aide» a été très peu comptabilisé durant la deuxième récolte de données. On peut donc imaginer que «la manière spécifique dont Will est mis en scène propose une image différente du handicap, une image en dehors des concepts de dépendance et d’assistance qui lui sont généralement associés».
Il semblerait donc que le dessin animé ait lancé un processus de réflexion chez les enfants concernés. «Ce constat est réjouissant, car il montre que non seulement il est possible de faire évoluer les représentations sociales, mais surtout qu’on n’a pas forcément besoin de grands moyens pour le faire!» Reste que si l’on souhaite avoir recours à cette méthode pour améliorer l’intégration d’un élève en situation de handicap dans une classe, «il faut travailler en amont, bien avant l’arrivée de l’élève». En effet, les stéréotypes ont la vie dure, «même chez les enfants», fait remarquer Chloé Jaccard.
Discours axé sur les conséquences négatives
Tout comme Chloé Jaccard, Lisa Genoud a écrit son mémoire de Bachelor en pédagogie spécialisée sous la direction de Sophie Torrent. Son travail a lui aussi fait l’objet d’une publication dans la revue REISO. Mais les similitudes entre les deux recherches s’arrêtent là: côté thématique, Lisa Genoud s’est penchée sur les représentations sur la sexualité des femmes avec déficience intellectuelle. «Une revue de la littérature existante sur le sujet m’a confirmé qu’il s’agit d’un sujet d’actualité, qui fait néanmoins l’objet de nombreux tabous», précise l’étudiante de l’Unifr.
Le travail de la jeune chercheuse, qui a été récompensé par le prix SEHP de l’association SExualité et Handicaps Pluriels, met le doigt sur le fait que les femmes avec déficience intellectuelle sont confrontées à une double discrimination. D’une part, «elles souffrent de stéréotypes réduisant encore trop souvent la sexualité féminine à la pureté, la protection et la prévention». Par ailleurs, «elles doivent faire face aux représentations culturelles associant négativement les femmes en situation de handicap à des limitations importantes altérant leur fonctionnement».
Pour dresser un portrait actuel de la réalité vécue par ces femmes, et rendre compte des représentations qu’elles se font de leur sexualité, Lisa Genoud a eu recours à 17 études menées récemment. «L’analyse de ces recherches montre que les femmes avec déficience intellectuelle possèdent généralement peu de connaissances sur la sexualité; leurs discours sur leur comportement sexuel reposent sur la prévention des conséquences négatives comme les infections sexuellement transmissibles, une grossesse non désirée ou des abus.» La revue de la littérature menée par l’étudiante révèle en outre que l’accès aux expériences sexuelles reste globalement très limité pour la plupart des femmes concernées. Cette situation s’explique par leur dépendance à leurs parents pour obtenir l’autorisation de voir quelqu’un.
Soutenir l’autodétermination
«J’avoue que je ne m’attendais pas, avant d’entreprendre mes travaux, à tomber sur des représentations aussi négatives de leur sexualité par les principales intéressées», commente Lisa Genoud. De même, la chercheuse a été surprise «par la peur qui semble liée à la sexualité de ces femmes». Et, dans la foulée, «à une absence assez généralisée de la notion de plaisir» dans le discours autour de cette sexualité. «Je suppose que ce phénomène découle du fait que l’accent est systématiquement mis sur la prévention, ce qui attise l’anxiété tout en étouffant le plaisir.» Or, la définition de la santé sexuelle émise par l’OMS en 2012 dépasse la seule absence de trouble et inclut le plaisir, rappelle-t-elle.
Quelles pistes pourrait-on explorer afin de combler les lacunes relevées dans le mémoire de bachelor de Lisa Genoud? «Avant tout, il faut encourager et soutenir l’autodétermination des femmes avec déficience intellectuelle en matière de sexualité, répond l’étudiante. Cela passe notamment par l’information.» Dans ce contexte, l’éducation sexuelle a un grand rôle à jouer. «Mais attention, celle-ci doit se poursuivre au-delà de la scolarité, avec des informations accessibles… et adaptées.» La chercheuse va plus loin: la formation doit aussi concerner les personnes qui accompagnent ces femmes. «Le milieu de l’éducation spécialisée n’est – de loin – pas épargné par les tabous autour de la sexualité des personnes en situation de handicap.»
_____- Chloé Jaccard prépare un Master en travail social à l’Unifr. Elle est titulaire d’un Bachelor en pédagogie spécialisée.
Plus d’informations sur son travail et lien vers l’article de la revue REISO. - Lisa Genoud prépare un Master en enseignement spécialisé à l’Unifr. Elle est titulaire d’un Bachelor en pédagogie spécialisée.
Plus d’informations sur son travail et lien vers l’article de la revue REISO.