VIH et migration, au-delà des stéréotypes

VIH et migration, au-delà des stéréotypes

La Professeure en sociologie Francesca Poglia Mileti et la chercheuse Laura Mellini ont étudié les représentations et dynamiques autour de la santé sexuelle et du VIH/sida dans le contexte migratoire. Elles en appellent à une approche inclusive, tenant compte des identités multiples de la personne.

Fléau de la fin du XXe siècle, le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) continue de sévir, même si les chiffres d’ONUSida montrent que, dans le monde, les nouvelles infections ont diminué de 52% par rapport au pic de 1997. Une baisse en partie due à la prévention et au progrès dans le traitement de la maladie, qui permet aux personnes séropositives de mener aujourd’hui une existence presque «normale». Sur le plan médical du moins, car cette maladie sexuellement transmissible nourrit encore des stéréotypes tenaces.

Les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) restent les plus exposés face à la maladie. Alors que la Suisse recense 290 nouvelles infections en 2020, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) indique que les relations HSH demeurent la voie d’infection la plus souvent indiquée à 50,8%, contre 26,5% par voie hétérosexuelle. Dans ce second cas, les femmes sont les plus touchées. Parmi elles, une majorité est issue de régions considérées à «haute prévalence du VIH» par ONUSida et l’Organisation mondiale de la santé, notamment l’Afrique subsaharienne.

Visions différentes de la sexualité
Comment les femmes migrantes d’origine subsaharienne atteintes du VIH gèrent-elles socialement l’information autour de leur maladie? Quelles sont les pratiques et les représentations des jeunes migrant·e·s provenant de ces mêmes régions en matière de sexualité et de VIH?

Sociologues à l’Université de Fribourg, la Professeure Francesca Poglia Mileti et la chercheuse Laura Mellini se sont penchées sur ces questions via trois enquêtes qualitatives depuis 2016: les femmes migrantes d’origine subsaharienne et le VIH (FEMIS), les jeunes migrant·e·s d’Afrique subsaharienne et la santé sexuelle (JASS) ainsi que la migration et les vulnérabilités au VIH et autres infections sexuellement transmissibles en Suisse (Mi.STI).

Des terrains sensibles. L’écueil du stéréotype n’est jamais loin et Laura Mellini prévient d’emblée du risque de réduire les personnes à l’étiquette de «migrant∙e∙s». «Dans ce contexte aussi, les identités sont multiples, liées au genre, à l’orientation sexuelle, à l’origine, au statut social, économique ou juridique, aux expériences vécues, etc.» A priori, difficile en effet de comparer une personne précaire sans permis à une jeune fille de deuxième génération inscrite à l’université. Pour autant, le contexte migratoire joue bel et bien un rôle.

«Les jeunes personnes migrantes constatent des différences, lorsqu’elles se comparent à leurs camarades de classe non-migrant∙e∙s», rapporte Francesca Poglia Mileti. Ces jeunes, surtout les femmes, vivent souvent dans une tension entre des visions différentes de la sexualité, avec des distinctions de genre plus marquées et des attentes de la part des parents. Ici, le souci de l’image dépasse souvent les impératifs médicaux.

«La plupart des jeunes connaissent les risques, continue Francesca Poglia Mileti. Mais leurs comportements sont liés à la manière dont ils et elles se représentent la maladie et à leur position dans le couple. Le regard des filles par rapport aux garçons ne sera pas le même que dans les couples non-migrants. Pour elles, faire valoir sa position et ses droits, y compris ses droits sexuels, est souvent plus difficile».

«Certaines jeunes filles affichent une volonté de vivre une sexualité épanouie et assumée, d’autres ne se permettent pas de sortir avec un préservatif, craignant d’être considérées comme des ‹filles faciles›», souligne la professeure. L’exemple montre à quel point les comportements dits «à risque» ne découlent pas seulement de l’accès à l’information médicale, mais relèvent de dynamiques et de représentations sociales complexes.

Interprétariat et précarité
Les communautés auxquelles appartiennent les enquêté·e·s entretiennent parfois des tabous sur la sexualité et ont des représentations morales et religieuses différentes de celles du pays d’accueil. Se pose ici la question sensible de l’interprétariat communautaire. D’un côté, on trouve l’avantage de la langue et de représentations communes, mais d’un autre, l’interprète ne va parfois pas oser traduire certaines choses afin de ménager la personne.

Le problème est crucial pour les requérant·e·s d’asile déposant une demande en raison d’orientation sexuelle ou d’identité de genre. «Ces personnes doivent exprimer quelque chose qu’elles ont appris à cacher dans leur pays pour fuir les persécutions, et doivent le faire devant un·e interprète qui peut avoir une vision normative de la sexualité et être amené·e à traduire ce qu’il/elle ne veut ou ne peut pas entendre», précise Laura Mellini.

L’enquête Mi.STI montre l’influence de la précarité dans laquelle peuvent se trouver certain·e·s migrant·e·s. En situation de précarité socio-économique et juridique, la priorité est d’obtenir un permis de séjour, un logement, de la nourriture. Difficile, dans ce contexte, de penser à la prévention ou au préservatif. Des situations de dépendance et de jeu de pouvoir peuvent aussi s’instaurer au sein des couples et rendre difficile, voire impossible, la négociation du préservatif.

Connaître le vécu et les stratégies des personnes est d’autant plus important en matière de prévention pour les deux sociologues. Elles en appellent à une démarche inclusive. «Il s’agit de partager les informations à toutes et tous et de ne pas simplement aborder la prévention en termes de catégories comme personnes ‹migrantes› ou ‹homosexuelles›, sans pour autant oublier que des spécificités existent», résume Francesca Poglia Mileti.

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Author

Pierre Koestinger est journaliste indépendant.

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