Elargir l’accès aux droits politiques pour les personnes présentant une déficience intellectuelle et leur donner les moyens de se forger une opinion. C’était l’un des points abordés lors du congrès DUO à Fribourg, organisé pour et par les personnes concernées.
Imaginez que l’on vous retire vos droits politiques en raison d’une mauvaise compréhension d’un objet de vote. Exagéré? C’est pourtant la crainte que peuvent ressentir les citoyen·ne·s présentant une déficience cognitive. «Certaines de ces personnes ressentent la peur de se tromper, de ne pas comprendre et de devoir se justifier. Leur auto-estime est souvent déficitaire», relève la Dre Barbara Fontana-Lana. Maîtresse d’enseignement et de recherche au Département de pédagogie spécialisée de l’Université de Fribourg, elle a mené avec ses collègues une recherche sur la participation politique des personnes ayant une déficience intellectuelle (DI). Cette recherche (Vote4All), menée par étapes, analyse la législation fédérale et celle des cantons, leur application ainsi que les différents facilitateurs et obstacles.
Dans l’arène politique
En Suisse, la loi fédérale sur les droits politiques, s’appuyant sur l’article 136 de la Constitution, exclut du droit de vote «les personnes qui, en raison d’une incapacité durable de discernement, sont protégées par une curatelle de portée générale ou par un mandat pour cause d’inaptitude». Une disposition en contradiction avec la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, texte pourtant ratifié par la Suisse en 2014. Reste que les lignes bougent. A Genève, l’incapacité de discernement n’est plus un critère de retrait des droits politiques. Et à l’échelon national, le Conseil fédéral doit répondre, d’ici juin 2023, au postulat de la conseillère aux Etats Marina Carobbio Guscetti. Son texte demande la pleine participation politique des personnes présentant une DI, à l’image des engagements pris par des pays comme la France, l’Italie, l’Autriche ou encore l’Espagne.
Avoir le droit de vote est une chose, mais pouvoir pleinement voter en connaissance de cause en est une autre. Aujourd’hui, les personnes présentant une DI et qui peuvent voter butent souvent sur des obstacles, comme l’absence d’informations adaptées et compréhensibles. «On rencontre encore beaucoup de méconnaissance sur la déficience intellectuelle. Il en existe de différentes sortes et l’on oublie que ce n’est pas le type de déficience qui fait la différence, mais le type de soutien», souligne Barbara Fontana-Lana.
Causes multiples
La chercheuse pointe plusieurs stéréotypes. D’abord, la croyance encore tenace que la DI est majoritairement héréditaire. «Il s’agit d’un héritage des théories eugénistes des siècles précédents. C’est vrai pour seulement 5 à 10% des cas. En fait, les causes de l’origine d’une DI peuvent être variées: anténatales (par ex. alcoolisme maternel ou utilisation de drogues, problème génétique), périnatales (manque d’oxygène au moment de la naissance) et post natales (maladie, manque de soins adaptés et de stimulations, etc.).» Barbara Fontana-Lana déplore également une vision par trop «statique» de l’intelligence. «La société tend à considérer la DI comme peu évolutive. Or aujourd’hui plus personne ne nie la plasticité cérébrale. On apprend tout au long de la vie et ce qui est valable pour tout un chacun l’est aussi pour ces personnes», fait-elle remarquer. Apprendre revient à s’impliquer, à participer. Cela passe par des espaces de paroles. A l’image de DUO, un congrès qui s’est tenu pour la première fois début 2023 à Fribourg. Une démarche originale portée par le Centre de formation continue (CFC), le Département de pédagogie spécialisée de l’Université de Fribourg, la Haute école de travail social de Fribourg et l’association Vivre son deuil Suisse. Cette journée était organisée pour et par les personnes présentant une déficience cognitive.
Les outils existent
«Aujourd’hui, on fait beaucoup pour les professionnel·le·s, mais trop peu pour les personnes directement concernées», relève Jean-François Massy, directeur du CFC. Cette rencontre, une première à Fribourg, a été un succès. «L’espace de parole qui s’est ouvert a été investi très rapidement», observe Barbara Fontana-Lana. «Cela répondait à un besoin de partager avec d’autres personnes présentant une DI», ajoute Jean-François Massy. De par leurs caractères sensibles, les sujets abordés ont parfois fait émerger les manques affectifs que peuvent ressentir ces personnes ainsi que «le sentiment que la société pourrait faire un peu plus pour elles». Jean-François Massy nuance pourtant : «C’est une réalité, mais il ne faudrait pas avoir l’image d’une population enfermée dans la souffrance. Dans nos cours, on croise plein de gens heureux!» Entre le congrès DUO et les différents ateliers que propose le CFC, Barbara Fontana-Lana décèle un fil rouge: l’accessibilité des informations. «On se dit que ces personnes devraient avoir accès à n’importe quel congrès, mais elles butent souvent sur le langage utilisé et le manque de didactique, frein à la compréhension. Pourtant, les outils et les connaissances scientifiques nous permettant de proposer des didactiques adaptées existent.»
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