La Silent Party est l’un des évènements phares de la programmation du Nouveau Monde, lieu de sortie bien connu des Fribourgeois·es. Cette année, l’évènement est estampillé «inclusif». A l’origine de cette idée: Chloé Jaccard, une étudiante en travail social de l’Unifr.
Au premier abord, c’est une disco comme une autre: lumières ultra-travaillées, air rendu épais par le trémoussement des corps, alcool qui coule à flots. Pourtant, un élément ne colle pas: dans la salle, on n’entend que les bruits des chaussures heurtant rythmiquement le sol et des verres reposés sur le bar. Et la musique, alors?
La Silent Party – ou plutôt les Silent Parties, puisque la manifestation se déroule sur deux jours – est l’un des évènements phares de la programmation annuelle du Nouveau Monde, lieu de sortie bien connu des Fribourgeois·es. Son concept, ramené de l’étranger: plutôt que d’imposer aux fêtards une playlist unique, on leur propose trois options. Après avoir fait leur choix, les participants se déhanchent librement, casque sur les oreilles. «Chaque canal musical est symbolisé par une couleur qui s’affiche sur le casque; cela permet, d’un coup d’œil, de savoir qui écoute le même morceau», précise Flavien Droux, programmateur du Nouveau Monde. Cet espace culturel niché dans le complexe de l’Ancienne Gare, au cœur de la capitale cantonale, a été l’un des premiers du pays à proposer des Silent Parties.
Liberté de mouvements
Les 25 et 26 février prochains, le Nouveau Monde remet joyeusement le couvert. Or, cette édition 2023 de l’évènement sera un peu particulière. Sur le programme de l’espace culturel, on peut lire «Silent Party inclusive». L’ajout de cet adjectif, c’est une étudiante en travail social de l’Unifr qui en est à l’origine. «Je suis employée à temps partiel par FARA, une entreprise solidaire qui accompagne des personnes avec une déficience intellectuelle; j’ai constaté qu’il était souvent compliqué de répondre aux envies de certain·e·s de nos résident·e·s d’aller faire la fête ou écouter de la musique», rapporte Chloé Jaccard. En effet, en plus des questions d’accessibilité, de place et de bruit sur place, se pose celle du budget à disposition pour organiser et encadrer de telles sorties.
Alors que la jeune femme participait à titre privé à une Silent Party, une ampoule s’est allumée dans sa tête. «Je me suis dit que ce type d’évènement conviendrait bien à des personnes en situation de handicap, et cela pour plusieurs raisons». D’une part, «parce que les participant·e·s ont la maîtrise de ce qu’ils écoutent, ainsi que du volume». D’autre part, «parce qu’en raison des divers canaux musicaux, tout le monde donne l’impression de danser de façon un peu extravagante, donc on se sent plus à l’aise de s’exprimer avec son corps, quelle que soit la manière de le faire».
Dans la foulée, «il m’a semblé que le plus simple – et le plus inclusif – serait de se greffer sur un évènement existant, moyennant quelques adaptations». L’idée de la Silent Party inclusive était née. Du côté du Nouveau Monde, la réaction fut enthousiaste. «Cela colle totalement avec nos valeurs; depuis sa création, notre espace culturel lutte pour l’ouverture à un public le plus large possible, pour que la culture casse toutes les barrières dans tous les sens», souligne Flavien Droux. Le programmateur rappelle que plusieurs manifestations à caractère spécifiquement inclusif ont déjà été à l’affiche, dont le vernissage de «Paula et ses drôles d’oiseaux» – un projet musical porté par des résident·e·s de la fondation Les Buissonnets et par leurs éducateurs – ou encore le spectacle théâtral de L’Au-de l’Astre, une compagnie intégrant des comédien·ne·s en situation de handicap.
Devant et derrière les platines
Afin d’inciter le maximum possible de personnes en situation de handicap – qu’il soit mental ou physique – à faire le déplacement à l’Ancienne Gare les 25 et 26 février, ainsi que de simplifier les questions logistiques, quelques aménagements ont été prévus. «Des bénévoles viendront prêter main forte au staff du Nouveau Monde et à celui des institutions spécialisées», relève Chloé Jaccard. «Il s’agit de personnes-ressources, chargées par exemple de pousser un fauteuil roulant ou d’accompagner un·e participant·e aux toilettes.» Il est également prévu d’aménager un espace de type lounge, où les fêtard·e·s pourront faire une pause au calme. «Nous proposons par ailleurs des options de transports aux personnes ne résidant pas en institution.» Ces bénévoles sont pour la plupart des étudiant·e·s de l’Institut de pédagogie curative et de la Chaire de travail social et politiques sociales de l’Unifr, ainsi que de la Haute école de travail social de Fribourg.
L’inclusivité de cette disco va néanmoins plus loin. «En collaboration avec FARA, l’institution L’Arche Fribourg, Pro Infirmis et le bar Lapart, nous avons mis sur pied un groupe d’une trentaine de résident·e·s chargé d’épauler les trois DJ de l’évènement dans leur travail de création des playlists», explique l’étudiante de l’Unifr. Lors des Silent Parties – qui se dérouleront respectivement le samedi soir dès 20h et le dimanche après-midi dès 14h30 – «ils auront la possibilité, s’ils le souhaitent, de faire un tour derrière les platines».
Un lieu naturellement inclusif
Mais ne prend-on pas le risque, en labellisant clairement cet évènement «inclusif», de refroidir certain·e·s habitué·e·s? Flavien Droux admet que la question a été abordée à l’interne, étant donné que la Silent Party est importante pour le Nouveau Monde. «Intégrer à un tel évènement des valeurs qui nous sont chères a été un argument décisif pour nous.» Chloé Jaccard relève elle aussi que «le risque zéro n’existe pas». C’est d’ailleurs pourquoi «nous avons décidé de ne pas en faire des tonnes en terme de communication; car après tout, l’évènement sera très semblable à celui des années précédentes».
Dans tous les cas, cette édition 2023 fera office de test, que ce soit pour les parties prenantes ou pour d’autres acteurs intéressés. Insieme Fribourg a ainsi demandé à Chloé Jaccard de lui fournir une évaluation à l’issue de l’évènement. «Mais ce que nous souhaitons avant tout», précise l’organisatrice, «c’est montrer que rendre des manifestations culturelles et festives plus inclusives n’est pas sorcier, qu’il suffit de faire quelques aménagements spécifiques». Rien qu’au Nouveau Monde, «il y a plusieurs évènements réguliers qui s’y prêteraient, notamment les soirées jeux». Même son de cloche du côté de Flavien Droux: «Par sa philosophie, qui va clairement dans le sens de l’ouverture et de la rencontre entre différents types de personnes, mais aussi par sa configuration spatiale, il s’agit d’un endroit naturellement inclusif.» Au point de pouvoir se passer, dans un avenir proche, du terme «inclusif» sur l’affiche de la Silent Party?
- Silent Party du Nouveau Monde
- Hibou, Bernard Grandgirard © CREAHM