Entre science et engagement, du labo à la rue, du terrain de recherche au monde, qui peut dire quoi? Arnaud Chiolero, professeur de Santé publique au Département de médecine, partage son point de vue sur la liberté de parole des scientifiques.
De manière générale, toute vérité est-elle bonne à dire?
En tant que scientifique, je dirais que notre souci est la connaissance, et non pas la vérité. Les connaissances sont certainement «à dire», mais elles ne se disent pas toutes seules; il faut un cadre qui permet l’échange des savoirs et qui respecte les doutes et les questionnements. C’est ce qu’offre idéalement l’université.
Quel est votre métier? Sur quoi portent vos recherches?
Je suis épidémiologiste et professeur de santé publique; j’étudie la santé des populations et ses multiples déterminants.
Certain·e·s scientifiques, notamment celles et ceux qui étudient le climat, ne se contentent pas de publier leurs résultats, mais tentent aussi d’alerter l’opinion publique ou d’inciter les autorités à l’action. Jugez-vous que c’est le rôle de la communauté scientifique ou que celle-ci doit se cantonner à ses recherches sans prendre position?
Il est difficile pour certain·e·s expert·e·s d’étudier des sujets de santé publique tout en gardant une neutralité axiologique; la tentation est énorme de s’impliquer pour améliorer la situation, et on comprend bien cette envie. Les scientifiques peuvent s’impliquer politiquement, mais il faut séparer les activités de production et de diffusion du savoir (activité scientifique à proprement parler) de celles de l’activisme politique (activité citoyenne). Le problème est que le militantisme académique crée une confusion entre le débat politique (où la conviction et l’opinion dominent le savoir) et le débat scientifique (où le savoir et le questionnement sont centraux). Les scientifiques, même s’ils ont de bons arguments, doivent accepter qu’ils sont des citoyen·ne·s comme les autres et n’ont pas de légitimité politique à diriger. Dans un système démocratique, c’est le politique – fait de citoyen·ne·s et d’élu·e·s œuvrant dans le respect d’institutions – qui dirige. La science peut trouver des solutions aux problèmes de santé publique, mais c’est le politique qui décide comment transformer ces solutions en réalité.
Certaines de vos recherches peuvent-elles susciter un débat scientifique, voire alimenter des discussions politiques? Si oui lesquelles? Est-ce déjà arrivé?
Lorsqu’on étudie la santé des populations, il y a automatiquement des discussions politiques, car les mesures pour améliorer la santé nécessitent de faire des choix personnels, socio-économiques, voire éthiques. On l’a vécu, par exemple, sur la question d’obliger ou non la vaccination contre le virus de la covid-19. Alors que les scientifiques sont les mieux placé·e·s pour démontrer les bénéfices ou les dangers de la vaccination, elles et ils ne peuvent pas répondre à la question de savoir s’il faut rendre celle-ci obligatoire, car cela relève de choix sociaux, éthiques et politiques.
Iriez-vous jusqu’à la désobéissance civile: faut-il sortir du labo pour descendre dans la rue?
On peut le faire, comme tout citoyen·ne, mais pas au nom de l’institution qui nous emploie. Je suis payé pour donner des enseignements et pour conduire mes travaux de recherche, non pas pour mes convictions ou mes choix politiques.
Pensez-vous que vous avez une légitimité, voire le devoir, en tant que scientifique, de participer au débat public?
Participer au débat public, bien entendu, et j’ai une responsabilité d’informer au mieux sur la base de mes connaissances. Mais quand il s’agit de choisir, de décider, je suis un citoyen comme un autre.
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- Page d’Arnaud Chiolero
- Le magazine scientifique universitas consacrera également, dans son numéro d’avril 2023, une triple interview à la question.