«La magie de la relation humaine peut réparer le monde»

«La magie de la relation humaine peut réparer le monde»

Son intuition le lui chuchotait à l’oreille, le CAS en neurosciences de l’éducation de l’Unifr le lui a confirmé: il est possible de mettre en place des pédagogies capables de recréer des connexions neuronales chez des jeunes traumatisé·e·s. Fort de ce constat, Olivier Mottier a développé trois outils concrets.

Olivier Mottier en est convaincu, «le lien humain peut guérir les maux.» Le directeur du Foyer de Salvan ne va certainement pas se laisser démonter par celles et ceux qui trouvent sa vision de la pédagogie éducative naïve. Et encore moins par celles et ceux qui estiment que pour remettre les mineur·e·s placé·e·s en institution «sur les rails», il faut avoir recours à la discipline, à l’autorité verticale et à la soumission par principe de l’enfant à l’adulte. «Ce qu’il leur faut, à ces jeunes, c’est de l’amour!» Travailleur social et éducateur spécialisé de formation, il s’appuie sur les recherches récentes en sociologie, en psychologie, en pédagogie et en neurosciences pour l’affirmer haut et fort: «On a besoin de nouveaux modèles éducatifs capables d’apporter des limites bienveillantes, une protection qui assure la sécurité de l’enfance et des soins, dans le sens du care

Depuis qu’il a repris il y a onze ans la tête de la structure valaisanne qui peut accueillir une trentaine de jeunes résident·e·s, toute son action tend vers ce changement de modèle. «Chez moi, c’est une espèce de posture, je suis attiré par les gamin·e·s les plus abîmé·e·s; n’allez pas me dire qu’il faut garder ses distances avec les jeunes des foyers!» Celui qui, auparavant, a évolué dix ans dans les milieux de la protection de l’enfance, renchérit: «Je crois en la magie de la relation humaine, dans le fait qu’ensemble, on peut réparer le monde.»

Recréer des connexions neuronales
Est-ce pour asseoir scientifiquement cette conviction intuitive ou pour en dégager des outils concrets qu’Olivier Mottier a décidé de participer au CAS en neurosciences de l’éducation de l’Unifr, piloté par Cherine Fahim? «Un peu des deux, probablement», répond-il. «Et j’ai bien fait: les neurosciences apportent un éclairage extrêmement intéressant sur la traumatologie.» Il cite l’exemple de la neurogenèse, à savoir la capacité de faire naître de nouveaux neurones à tout âge de la vie. «Dans le cas d’un enfant ayant vécu des traumatismes, qui est altéré dans son développement cérébral, psychoaffectif et social, il est donc possible de mettre en place des pédagogies éducatives et scolaires capables de recréer des connexions neuronales.» Les connaissances en neurosciences accumulées dans le cadre de sa participation au CAS, le directeur du Foyer de Salvan a décidé de les croiser avec une approche qu’il a découverte dans les années 1990 et qui a fortement inspiré et orienté la suite de son parcours, à savoir l’ACP (approche centrée sur la personne). «Développée dans les années 1960 par Carl Rogers, qui a remis en question la psychanalyse classique, l’ACP est basée sur trois postures fondamentales de la relation d’aide: l’empathie, le regard inconditionnel positif et la congruence.» Olivier Mottier rapporte que «des études récentes ont démontré que cette approche a des impacts sur le cerveau: face à un travailleur social empathique, qui l’accueille de manière inconditionnelle et qui est capable de travailler sur ses résonnances, l’enfant voit augmenter sa neuroplasticité et de nouvelles connexions se créent». Fort de ses nouveaux apprentissages et de l’expérience accumulée sur le terrain, le participant au CAS a décidé de développer trois outils sur la base des neurosciences: un nouveau modèle de supervision favorisant la congruence des professionnels face aux enfants accueillis, un dossier pédagogique – basé sur les programmes TéCool et Go/noGo de Cherine Fahim – pour accompagner les jeunes dans leur développement social et psychoaffectif, ainsi qu’un conte interactif baptisé «Raconte-moi une histoire!». Ce dernier «plonge les participant·e·s au cœur du cerveau et de la mythologie de l’Egypte ancienne». Inspiré du théâtre-forum, une technique artistique visant la formation, l’animation et la prévention autour de thèmes sensibles, cet outil permet aux enfants d’aborder avec distance et recul les traumatismes et abandons vécus. «Narratif et ludique, il est capable de donner de l’information sur le fonctionnement de notre cerveau en lien avec les traumatismes tout en aidant à cheminer vers la guérison intérieure.»

Obligatoire pour les travailleuses et travailleurs sociaux
«Raconte-moi une histoire!» est centré sur un grand tableau présentant un plan du cerveau. «Les principales fonctions cérébrales sont symbolisées par des dieux égyptiens: Anubis pour les amygdales, Thot pour l’hippocampe, Hathor pour l’hypothalamus, Osiris pour le corps calleux et le thalamus, Maât pour le cortex cingulaire, Amon-Râ pour le cortex préfrontal; quant à Ammemet et à l’œil d’Horus, ils représentent respectivement le traumatisme et la résilience à travers les liens authentiques.» Cinq enfants âgés de 8 à 11 ans et cinq adolescent·e·s de 14 à 17 ans constituent les personnages principaux de cette histoire. Pour chacun d’entre eux, l’âge, la passion, la place dans le groupe et le degré de bonheur ont été définis. «Ensuite, c’est au narrateur-pédagogue de jouer: il est chargé d’inventer une histoire adaptée, d’échanger avec l’auditeur·trice afin d’établir des similitudes avec son propre vécu, de faire le lien avec le fonctionnement cognitif, de proposer des exercices spécifiques d’entraînement du cerveau et de s’impliquer afin d’accompagner le jeune dans son processus de résilience.» Cet outil vise à «sortir en douceur l’enfant du secret, à l’éclairer sur les conséquences cérébrales du traumatisme et bien sûr aussi à ouvrir la voie aux formidables capacités du cerveau à guérir et à s’adapter», résume Olivier Mottier.

Selon lui, justement, «toute avancée scientifique devrait être transformée en outils concrets». Le CAS de l’Unifr «nous force à le faire», se réjouit-il. Mais le spécialiste va plus loin: «Je trouve que cette approche basée sur les neurosciences devrait être obligatoire pour toutes les travailleuses et tous les travailleurs sociaux; il s’agit de personnes-clé, qui se doivent de s’appuyer sur de solides connaissances du fonctionnement du cerveau.» Et de conclure: «C’est seulement ainsi que nous parviendrons à arrêter de déléguer la médicalisation de notre travail.»

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  • Olivier Mottier sera présent à Explora  le 23.09.2023
  •  CAS en neurosciences de l’éducation de l’Unifr

Author

Journaliste indépendante basée à Berne, elle est née au Danemark, a grandi dans le Canton de Fribourg, puis a étudié les Lettres à l’Université de Neuchâtel. Après avoir exercé des fonctions de journaliste politique et économique, elle a décidé d’élargir son terrain de jeu professionnel aux sciences, à la nature et à la société.

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