Lauréate du prix Ludwig-Genzel 2023, la physicienne Ana Akrap est mue par une force au moins aussi puissante que celle qui maintient les protons et les neutrons ensemble, celle de la passion de sa discipline. Ces derniers mois, elle s’est lancée dans un projet un peu fou: démontrer que, oui, les physicien·ne·s sont des humains comme les autres.
Parfois, il faut savoir se laisser emporter par le courant! La semaine dernière, je m’apprêtais à affronter Ana Akrap, une physicienne récompensée pour «ses contributions exceptionnelles dans le domaine de la spectroscopie infrarouge de la matière condensée». Comment diable allais-je rendre intelligibles et intéressants des concepts tels que «matériaux quantiques», «dynamique de charge» ou, pire encore, «fermions légers». Sans doute prise de pitié, la professeure a spontanément embrayé sur des considérations existentielles: «Mon frère, qui est peintre, et ma sœur, qui enseigne la poésie, me demandent souvent ce que je fais concrètement. Ils s’imaginent que je passe ma journée à résoudre des séries de problèmes comme à l’époque de l’école.»
Un monde pas si hermétique que ça
Il est vrai que l’on sait de quoi est fait le quotidien d’un·e dentiste ou d’un carrossier, celui d’un·e physicien·n·e reste, en revanche, nimbé de mystère et d’ennui. La matière étudiée, sauf quand il s’agit d’astrophysique, peine à passionner les foules. Convaincue que son monde, loin d’être abscons, gris et hermétique, peut et surtout mérite d’être connu, Ana Akrap a décidé de réaliser un film intitulé «Scientist Demystified». Son but? Atteindre des étudiant·e·s âgés de 16 à 20 ans en leur montrant en quoi consiste réellement le monde de la recherche expérimentale – et, last but not least, prouver une fois pour toute que les physiciens et physiciennes appartiennent à l’espèce des homos sapiens passionnés et passionnants. «Pourquoi devient-on scientifique? En quoi consiste ce travail? L’idée n’est pas tant d’expliquer nos recherches, mais bien plutôt de montrer qui nous sommes», explique la chercheuse. Dix-huit scientifiques, des physicien·n·e·s pour la plupart, mais aussi Adria LeBoeuf, une spécialiste des fourmis, quelques étudiant·e·s, une chimiste se succèdent au cours de ce film documentaire d’une quarantaine de minutes. Les scènes se déroulent à l’Université de Fribourg mais aussi au Paul Scherrer Institute, «un endroit où l’on découvre des instruments incroyables, immenses, qui peuvent faire des choses magnifiques, s’enthousiasme Ana Akrap. L’idée est d’utiliser le film pour entamer une conversation, pour ouvrir la voie à l’échange, au dialogue et à la discussion entre le jeune public et les scientifiques.»
Des découvertes qui affectent nos vies
Ana Akrap reconnaît volontiers que sa discipline ne peut pas toujours être explicitée facilement, en particulier sa spécialité qui n’est pas visuelle. «Si je vous explique que nous étudions des matériaux topologiques, je vous perds immédiatement. En revanche, si je vous explique que votre smartphone contient plus d’une centaine de matériaux développés par des physicien·n·es spécialisés dans la physique de la matière condensée, là, je vous fais comprendre l’intérêt de nos recherches! Sans doute moins prestigieuse que la physique qui se fait au CERN, cette physique change nos vies, sans que nous nous en apercevions.»
Prix Ludwig-Genzel
Mais ne soyons pas mystifiés par «Scientist Demystified» et revenons à nos moutons, le prix décroché par la professeure de l’Université de Fribourg. Celui-ci vient récompenser une vocation, celle de la science, déclenchée par un cadeau anodin, un microscope que ses parents lui ont offert à l’âge de 10 ans. «C’était une révélation, mais même avant cela, se remémore la chercheuse, j’aimais les chiffres et résoudre des problèmes de mathématiques». Ces prédispositions ont toutefois failli buter sur ses professeurs de lycée, «barbants au possible». Un étudiant de l’université de Zagreb parvient toutefois à maintenir vivante la flamme de la jeune Ana Akrap pour la physique en général, et la matière condensée en particulier. Fast forward: la chercheuse croate obtient un doctorat à l’EPFL, puis, en 2018, est nommée professeur associée à l’université de Fribourg. Ses recherches sur les propriétés de certains cristaux, vous le savez déjà, viennent de lui valoir le prix Ludwig-Genzel, une récompense prestigieuse dans le domaine de l’optique infrarouge. «J’étais vraiment fière et heureuse de l’avoir reçu!»
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- Ana Akrap
- Scientist Demystified, 07.12.2023, Per 08, Departement de physique, salle 1.50, 17h00
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