Le traditionnel concours littéraire de l’Université de Fribourg a lieu tous les deux ans. Sont récompensés des textes dans les langues représentées dans l’enseignement universitaire. Avec son recueil de poésies Tentate vicinanze, Estelle Vezzoli a remporté l’édition 2022 en langue italienne.
Félicitations pour votre prix. Qu’est-ce que cela représente pour vous? Pourquoi vous être présenté à ce concours?
C’est la première fois que je soumets un écrit à un concours, même si j’ai toujours partagé mes poèmes avec des personnes qui me sont proches. J’ai décidé de «briser le cercle» en envoyant Tentate vicinanze, parce que ce petit recueil est né, comme le titre l’indique, du désir d’établir un dialogue et, plus profondément, de la découverte fondamentale – biographique et poétique – de la nécessité d’aller «vers l’autre». L’écriture implique toujours un certain repli sur soi, et donc une certaine distance que nous identifions souvent comme une «séparation» du reste. Mais de même que la séparation présuppose – c’est ma conviction – une communion préalable, de même l’écriture, par sa propre essence, invoque «l’autre» et vit de la proximité qui se fait – et nous revenons ainsi aux raisons de ma participation – parmi et dans le dialogue. Peut-être ai-je compliqué inutilement les choses, mais ce que je veux vraiment dire, c’est que je me suis rendu compte que la poésie, du moins la mienne, trouve sa raison de vivre précisément dans le partage; j’ai donc simplement choisi d’essayer de la partager: le prix est pour moi un signe d’avoir d’une certaine façon raccourci une distance.
Qu’est-ce qui vous a poussé à rédiger ce texte? Sans divulgacher, de quoi s’agit-il?
Tentate vicinanze est, comme j’ai essayé de l’expliquer, peut-être de façon un peu énigmatique, la quête d’une réduction de la distance entre «je» et «tu». J’ai écrit ces dix poèmes dans un moment de distance (pas seulement géographique) qui empêchait un échange vraiment intime avec une personne importante dans ma vie: comme me l’a fait remarquer un cher ami, il semble que la raison même de ce recueil soit, précisément, la tentative de répondre, par le moyen de la poésie, à une voix qui, bien que lointaine, se fait entendre haut et fort. C’est le désir d’établir un dialogue entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés, entre ceux qui ont trouvé la vitalité et l’énergie pour parler et ceux qui, au contraire, se sentent réduits au silence dans leur immobilité (ou immobilisés dans leur silence). Partant donc d’une séparation très concrète et personnelle, la réflexion s’est articulée, je crois, pour inclure ce qui est le sens même de l’écriture, qui est toujours un reflet, d’une certaine façon, de notre manière d’être au monde: le besoin de proximité, d’être ensemble, comme un trait fondamental de l’être humain, comme une manière de devenir vraiment ce que l’on est.
Avez-vous une routine d’écriture?
Non, au contraire: je ne sais jamais quand je vais écrire et, souvent, je ne sais même pas pourquoi! Je crois que la poésie est une «présence» mystérieuse et silencieuse qui, pourtant, «ne délivre pas d’adieu». Il y a des moments dans la vie de chacun où la donnée expérientielle semble se connecter immédiatement à une sphère d’expérience plus large et plus originale: je crois que la poésie naît souvent de la conscience de ce lien intime qui s’allume entre ce qui est ressenti et le sentiment universel, entre ce qui est vu et ce qui est reçu. J’écris quand je suis poussée à le faire: c’est une tension amoureuse pour l’existence et l’existant, dont je pourrais certainement tenter une explication, mais que je me contente, pour l’instant, de suivre avec transport: le travail de pensée consciente et de correction ne vient que plus tard, et souvent avec un vrai effort.
Comment décririez-vous votre style d’écriture?
Etant si jeune dans l’art d’écrire, je crois que je n’ai pas encore un style bien à moi, et je ne suis pas sûre que cela arrivera jamais: c’est un constant devenir. Je remarque cependant des thèmes, des tons et des registres qui semblent persister avec plus de ténacité que d’autres dans mes écrits. La familiarité avec le médium poétique s’accompagne d’une réflexion progressive et plus fine sur les potentialités et les directions que peut prendre la poésie, que j’aimerais qu’elle puisse prendre: il me semble que, peu à peu, des traits spécifiques s’impriment ou, si l’on veut, une certaine «poétique» se dessine. J’aime penser à ma future poésie comme à une poésie de la gratitude, ouverte à ceux qui veulent la recevoir, même si je ne sais pas encore exactement ce que cela peut signifier ni quelle forme cela peut prendre!
Avez-vous des modèles d’écriture à suivre?
En étudiant la littérature, et plus exactement en étant lectrice, je crois inévitable de porter en soi des impressions et des souvenirs d’autres auteur·e·s, que ce soit conscient ou pas. Je suis même convaincue qu’il s’agit là d’un principe fondamental de l’existence ce qui nous émeut, ce qui répond à un besoin intime, est absorbé et retravaillé en nous, allant jusqu’à tisser un réseau de liens qui traverse volontiers les frontières identitaires, géographiques et temporelles. D’une manière ou d’une autre, et nous revenons toujours au même point, je suis convaincue que le rapport d’échange avec les autres est fondamental pour être soi-même de la manière la plus sereine possible (et donc aussi pour être de bon·ne·s écrivain·e·s et de bon·ne·s lecteurs·trices): parmi les poètes qui m’apprennent à être moi-même, je dois sûrement citer Vittorio Sereni, Milo De Angelis et Mario Benedetti, qui ont produit en moi un écho florissant et lumineux. Le dialogue avec quelques amis, eux aussi fidèles amoureux de la poésie, est ensuite, sans aucun doute, l’une des sources les plus riches de compréhension et de transformation de ma façon d’écrire et – plus précieux encore – de lire.
Avez-vous d’autres projets en vue?
On peut formuler des projets poétiques, des «dessins littéraires», mais je ne pense pas que l’on puisse réellement concevoir un poème: il y a des «implantations» de recueils, des styles que j’aimerais explorer, mais je sais que, du moins pour moi, cela ne fonctionne pas ainsi pour l’instant: alors qui sait!