On dit parfois de Fribourg qu’il est un canton conservateur, un bastion catholique. Pour Simone de Reyff, professeure émérite de littérature française à l’Université de Fribourg, la réalité est plus nuancée. Au XVIe siècle, les Fribourgeois·e·s ne se sont pas arc-bouté·e·s sur le catholicisme, mais l’ont fait évoluer de manière sensible. Le Musée gruyérien propose une exposition immersive qui raconte comment la réforme catholique issue du Concile de Trente a influencé la vie religieuse, culturelle et intellectuelle de la région à travers les siècles.
En 2004, plus de 30’000 ouvrages issus des couvents de Capucins de Romont, Bulle et Fribourg ont été donnés à la Bibliothèques cantonale et universitaire de Fribourg. Simone de Reyff se rend vite compte qu’elle a affaire à un véritable trésor. «J’ai aperçu des titres époustouflants, confie cette passionnée à l’enthousiasme contagieux, et je me suis dit qu’il fallait impérativement en faire quelque chose!». C’est ainsi que l’exposition temporaire «Réformes. Et Fribourg resta catholique.» a vu le jour.
Simone de Reyff, pour quelles raisons n’aimez-vous pas le terme de Contre-Réforme?
Ce terme est largement connoté. Il a été introduit par les historien protestants allemands à la fin du XIXe siècle et envisageait la réaction catholique uniquement sous son aspect défensif, autrement dit sous l’angle carrément belliqueux. Cet aspect a existé mais il a été accompagné d’une réaction proactive. L’Eglise catholique savait depuis longtemps, comme tous les chrétien·ne·s d’ailleurs, qu’il fallait une réforme. C’est dans ce contexte qu’a été convoqué le fameux Concile de Trente en 1542, qui va amener une série de mesures disciplinaires afin de remédier à certaines déficiences constatées de longue date.
Pour quelle raison qualifiez-vous cette réforme de vaste entreprise de communication?
Pour une fois, je ne crois pas que cela soit très anachronique. On n’appelait pas cela de la «com’», mais cela fonctionnait déjà sur ce modèle-là. Cela a été une époque de création, de vitalité, d’énergie. L’Eglise catholique a eu ce souci d’atteindre les chrétien·ne·s, de parler leur langage. C’est ce qui s’appelle de la communication.
Quelles en sont les axes principaux?
Il y a une communication réalisée de manière immédiate à travers la parole enseignante. C’est une époque où se développent les catéchismes, dont le plus important est celui de Pierre Canisius, fondateur du collège St-Michel en 1582. C’est également l’époque où l’on va communiquer par la prédication. Le rôle des ordres religieux a été déterminant en particulier celui des jésuites et des capucins. On compte sur eux pour prêcher et catéchiser, notamment en utilisant la musique, moyen très efficace et moderne. Nous sommes encore à une époque de l’oralité. L’alphabétisation est loin d’être une réalité pour tout le monde.
On peut supposer que cette stratégie a été efficace puisque le Canton de Fribourg reste un bastion catholique contrairement à tous ses voisins.
Au fond, les moyens de communications étaient les mêmes dans les cantons limitrophes. D’où notre utilisation du terme de réformes au pluriel, afin de montrer que les deux Réformes marchent de pair. Elles s’adressent à une chrétienté qui s’est transformée par rapport à la mentalité médiévale, mais où l’on voit l’apparition de la conscience individuelle. Cela réclame un autre langage. Fribourg ne reste donc pas catholique parce que ses habitant·e·s y seraient plus conservateurs·trices, mais parce que les autorités politiques l’ont décidé.
Et connaît-on les raisons de ce choix?
C’est assez compliqué, mais on peut mentionner des raisons d’ordre économique, l’influence de certaines personnalités, notamment du prédicateur de ville Konrad Treger, qui ont certainement influencé les autorités civiles dans le sens de la foi traditionnelle. Les cantons passés à la Réforme ont eux aussi été influencés par un théologien ou un prédicateur qui avait fait le choix de ce que l’on appelait la religion nouvelle.
Quelles empreintes cette Réforme catholique a-t-elle laissées dans le paysage du Canton?
Si vous vous promenez dans le Canton de Fribourg, vous rencontrerez de nombreuses chapelles rurales, de nombreuses croix de mission au carrefour des routes. L’exposition commence par une sorte de mise en situation des visiteurs·teuses en concentrant dans un espace toute sortes d’objets de piété relativement récents (fin XIXe- début du XXe siècle) dans le style des chromos saint-sulpiciens. Les conservateurs·trices du musée gruyérien en reçoivent en effet beaucoup de personnes qui en héritent de leurs parents, mais dont elles et ils ne savent pas trop quoi faire. J’ai trouvé que cette ambiguïté, jeter ou pas ces objets hérités, était caractéristique de la relation de nombreux Fribourgeois·e·s avec le catholicisme: on n’en veut pas beaucoup mais on ne veut pas le jeter non plus.
- Site du Musée gruyérien
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