Et si ton cerveau ressemblait à une station de ski? Dans le cadre du CAS en neurosciences de l’éducation de l’Unifr, Amandine Vuille a imaginé un jeu éducatif visant à faire connaître leur cerveau aux élèves de 7 à 10 ans. Allergiques à la glisse s’abstenir.
Les conditions sont optimales: la neige est abondante sans être lourde, la météo ensoleillée sans être caniculaire. Cerise sur le gâteau, la fréquentation de la station est relativement basse pour la saison, ce qui limite l’attente au départ des remonte-pentes. Depuis la télécabine, la jeune sportive de 9 ans a une vue d’ensemble sur le domaine skiable, de la zone freeride au snowpark, en passant par le jardin des neiges, le point de vue et le centre d’entraînement. En clignant des yeux, elle croit même apercevoir quelques animaux sauvages: aigle royal, bouquetin, chamois, lapin, marmotte, perdrix des neiges… A force de se concentrer, la fillette a l’impression que sa vision lui joue des tours: le plan des pistes de Zinal-Grimentz (VS) n’est-il pas en train de prendre la forme d’un cerveau? Non, la jeune skieuse ne se trouve pas dans les montagnes du val d’Anniviers mais dans une salle de son école. En compagnie de ses camarades de classe, elle participe à un atelier ludique imaginé par l’éducatrice sociale Amandine Vuille. S’il faut aux enfants une bonne dose d’imagination pour ressentir l’oscillation des remontées mécaniques bercées par le vent, le plan des pistes, lui, s’étale bel et bien devant leurs yeux. «Lorsque j’étais jeune adulte, j’ai fait plusieurs saisons en tant que monitrice de ski à Zinal, donc je connais très bien l’endroit.» C’est d’ailleurs sur place que lui est venue l’idée – alors qu’elle se trouvait sur un télésiège et qu’elle observait les autres amateurs de glisse qui dévalaient les pentes – d’utiliser la métaphore de la station de ski afin de faire découvrir le fonctionnement du cerveau aux écolier·ères de 7 à 10 ans.
Que se passe-t-il donc «là-haut»?
La création de ce support pédagogique neuroéducatif – ainsi que l’évaluation de sa pertinence – figurent au cœur du travail final d’Amandine Vuille en vue de l’obtention d’un CAS en neuroscience de l’éducation à l’Unifr. La trentenaire travaille comme éducatrice en milieu scolaire pour la commune de Val-de-Travers, dans le canton de Neuchâtel. Après avoir été en charge du soutien éducatif pour des élèves à besoins spécifiques, elle a intégré il y a quelques mois une structure de scolarité alternée. Cette dernière accueille des élèves avec ou sans trouble neurodéveloppemental, qui présentent de multiples difficultés socio-émotionnelles et/ou comportementales. «Auparavant, alors que je travaillais en milieu institutionnel, j’ai notamment accompagné un jeune autiste qui piquait de terribles colères, se mettait à tout casser; je me suis dit qu’il serait utile pour moi de savoir ce qui se déroulait à l’intérieur de son cerveau dans ces moments de crise.» C’est alors qu’elle découvre l’existence du CAS piloté par la docteure en neurosciences Cherine Fahim. Au moment de choisir le sujet de son travail final, Amandine Vuille a poussé la démarche encore plus loin. «Certes, il est important que le personnel socio-éducatif connaisse le fonctionnement cérébral; mais à mon avis, il est tout aussi important que les enfants eux-mêmes comprennent ce qui se passe « là-haut ».» Elle poursuit: «Durant toute leur scolarité, les élèves utilisent leur cerveau, qui constitue en quelque sorte leur Formule 1; or, aurait-on l’idée de lancer un pilote de course sur le circuit s’il n’y connaît rien en mécanique automobile?» Habituée à utiliser les jeux éducatifs dans sa pratique professionnelle, c’est tout naturellement vers ce support pédagogique que s’est tournée la spécialiste.
Des associations ludiques
Concrètement, ce jeu de coopération repose sur un support physique cartonné au format A3, inspiré du plan des pistes de Zinal-Grimentz. Le domaine skiable a la forme d’un cerveau; les différentes parties de la station correspondent aux divers lobes (frontal, pariétal, temporal, occipital) et respectent les fonctions relatives telles qu’attention, langage, analyse visuelle ou encore traitement de l’information. «Chaque lobe peut être ouvert et contient un bref résumé de sa fonction; son association avec une partie distinctive de la station le rend plus facilement identifiable pour les enfants.» Amandine Vuille a par exemple associé le lobe occipital, impliqué dans la vision, au point de vue panoramique du domaine skiable. Des vidéos complètent le tout. Pour expliquer les trois réseaux neuronaux (réseau de saillance SN, réseau de mode par défaut DMN, réseau exécutif CEN), elle a choisi de les mettre en lien avec des éléments indispensables à la pratique du ski: accessoires (lunettes, casque, gants, etc.) pour le SN, équipement (skis, chaussures, bâtons) pour le CEN et préparation mentale pour le DMN. A chaque catégorie correspond un abonnement de ski sous forme de carte. Quant aux diverses régions cérébrales contenues dans les trois réseaux, elles sont associées à des animaux de la montagne: chamois pour l’amygdale, marmotte pour le thalamus, perdrix des neiges pour l’insula, aigle royal pour le cortex cingulaire antérieur, bouquetin pour le cortex orbitofrontal, etc. «Chamy est par exemple un chamois craintif qui s’alarme lorsqu’il a peur; face au danger, il réagit de trois manières différentes, fuir, combattre ou se figer sur place.»
Vers une diffusion à plus large échelle
Répartis en trois groupes, les élèves prennent connaissance – au travers de la personne chargée de l’animation – de toutes les informations théoriques et pratiques à disposition. Chaque équipe est garante d’un des types d’abonnement, c’est-à-dire qu’elle joue l’un des trois réseaux neuronaux. Les trois équipes doivent travailler ensemble afin que le skieur (leur enseignant) puisse se déplacer dans les différentes zones du domaine skiable, donc du cerveau. Tout au long de la partie, les participant·e·s sont testé·e·s grâce à des cartes-questions ou des questions-vidéo. Des jetons en bois figurant une dameuse – qui représente les expériences et les apprentissages – servent à récompenser les bonnes réponses. Des boules de neige en ouate symbolisant les erreurs pénalisent quant à elles les mauvaises réponses. A la fin du jeu, des médailles inspirées de celles de l’Ecole Suisse de Ski sont distribuées aux petits champions. Tout comme les erreurs sont nécessaires pour apprendre, il faut autant de jetons dameuse que de boules de neige aux participant·e·s pour gagner la meilleure des médailles. Une fois son support mis au point, Amandine Vuille l’a testé dans trois classes (de 4e, 5e et 6e Harmos) du cercle scolaire dans lequel elle travaille. «Afin de pouvoir évaluer l’impact du jeu, j’ai demandé aux élèves de dessiner leur cerveau avant et après l’atelier.» Dans la plupart des cas, la chercheuse a observé un net changement entre la première et la deuxième production, même chez les plus jeunes enfants. «Suite à cela, d’autres enseignant·e·s m’ont activement demandé s’il serait possible de venir « jouer » dans leur classe», se réjouit-elle. Un signal positif qui l’a encouragée à se lancer dans une amélioration du jeu – en collaboration avec Cherine Fahim – afin de pouvoir, dans un avenir proche, «envisager une diffusion à plus large échelle». Un pas dans cette direction a déjà été franchi, puisque l’éducatrice sociale a été invitée à présenter son jeu lors d’un colloque cantonal de la petite enfance.