Pour l’inauguration de son nouvel espace thématique consacré aux plantes ligneuses, le Jardin botanique de l’Université de Fribourg a mis les petits plats dans les grands. Le 22 avril prochain, l’auteur Alexis Jenni viendra y parler de sa passion pour les arbres.
Alexis Jenni, recevoir une invitation de la lointaine Fribourg, aux confins de la Suisse romande, vous a-t-il surpris?
Je ne connais pas encore Fribourg, mais je viens souvent en Suisse, à Genève, Lausanne, Morges, et puis Berne et son Oberland, pour des raisons professionnelles, mais aussi par plaisir. Je suis quand même à moitié suisse comme mon nom l’indique, et pour des raisons personnelles et familiales, ce pays m’est cher.
A ma connaissance, le Jardin botanique invite des scientifiques pur sucre, par exemple des spécialistes des bryophytes, moins des écrivains. Le 22 avril, qui le public aura-t-il en face de lui? L’agrégé de sciences naturelles ou le littéraire?
Je serai un scientifique qui sait raconter, ou bien un littéraire qui sait de quoi il parle. J’aime les sciences de la nature, j’aime la littérature, et unir les deux est pour moi un grand bonheur, et puis une entreprise utile, pour que les sciences réintègrent les humanités, dont elle furent trop séparées. Je me dis que savoir un peu de sciences est une bonne chose pour tout le monde, et apprécier les récits aussi.
De quoi parlerez-vous, de votre essai intitulé «Parmi les arbres, essai de vie commune»?
Des arbres… parce que j’aime les arbres, ils me procurent des émotions… Et puis ils me passionnent intellectuellement: ils sont vivants comme nous, mais d’une toute autre façon. Interroger leur manière d’être vivant c’est aussi interroger la nôtre. Ils sont nos meilleurs colocataires sur cette Terre, il importe de les connaître mieux.
Comment un écrivain comme vous, prix Goncourt 2011, décide-t-il de consacrer un essai aux arbres? Et y a-t-il un but à une telle entreprise? Sensibiliser votre lectorat à la cause environnementale?
J’ai passé pas mal de temps dans ma vie à étudier les sciences, et à les enseigner. Et quand je suis passé à la littérature, qui était mon autre activité, mais secrète avant d’être publié assez tardivement, j’ai tout de suite envisagé d’intégrer ces sciences à la littérature, comme une sorte de défi littéraire, pour unifier mes domaines d’intérêt. J’ai mis du temps à trouver comment, et c’est mon simple amour des arbres qui y a conduit. Si en plus ça sensibilise à la cause, tant mieux; mais ce n’était pas le but.
Il y a quelques années, Francis Hallé était venu donner une conférence à l’Université de Fribourg. Dans le public, on sentait chez certaines personnes une vénération pour les arbres, un animisme même. «J’embrasse un arbre pour sentir son énergie!». Est-ce aussi votre cas ou restez-vous dans la rationalité?
Ha ha… j’imagine Francis que je connais bien devant ce genre de propos… Ce n’est pas son genre, même s’il passe beaucoup de temps à dessiner les arbres. Personnellement, je n’embrasse pas les arbres, j’ai ma pudeur. Mais je les aime, ils me procurent une émotion esthétique, je les trouve beaux, et plus que ça sans doute. La science me permet de les connaître mieux, donc de mieux les voir, et la littérature me permet de dire ce qu’ils me font.
Sentez-vous cette dimension presque spirituelle que nos contemporains prêtent de plus en plus souvent aux arbres?
Les arbres sont partout, dans notre environnement, mais aussi dans notre imaginaire, et dans nos mythes. A tel point qu’on leur prête beaucoup de vertus, que ce soit écologiquement ou spirituellement. Bon… j’entends, j’écoute, mais il faut raison garder. Qu’ils soient là en tant qu’êtres vivants suffit à mon bonheur, je ne cherche pas à y trouver plus de spirituel que ce qu’ils montrent. Mais je les regarde avec attention.
Vos œuvres récentes trahissent un intérêt marqué pour l’environnement (John Muir et l’écologie, Les extinctions de masse). Souffrez-vous, comme beaucoup de jeunes, d’éco-anxiété?
Etant de nature peu anxieuse, je suis heureusement épargné par l’éco anxiété, mais il est clair que nous allons dans le mur avec notre mode de développement agricole et industriel destructeur. Je dois être sauvé par un optimisme naturel, assez injustifiable en fait, de toutes les alarmes qui résonnent autour de nous. Mais mon moteur est plus un amour de l’environnement, du végétal surtout, qu’un cri d’angoisse et de révolte. Histoire de personnalité, sans doute.
Comment voyez-vous l’avenir environnemental de la planète? On est plutôt mal parti?
Ça va mal, on ne peut le nier. Il y a bien une conscience écologique qui se développe, mais aussi des intérêts économiques, et ceux qui gèrent ces intérêts, et en profitent, ne sont pas ceux chez qui cette conscience est la plus aiguë. La seule chose qui me rassure dans cette situation, c’est la puissance du vivant: sa capacité de résilience et de prolifération est prodigieuse, prête à se libérer dès que la pression des activités humaines se relâche. On entrevoit là une solution.
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