Champignons: une cueillette de connaissances

Champignons: une cueillette de connaissances

Au Jardin botanique de l’Université de Fribourg, une visite guidée a été l’occasion d’apprendre à mieux déterminer les espèces, en compagnie des mycologues chevronnés Alain Müller et Nicolas Küffer.

Les participant·e·s s’étonnent du riche panel d’odeurs qui aide à déterminer les champignons

De l’univers post-apocalyptique de la série The Last of Us, où l’humanité se voit zombifiée par la mutation d’une espèce fongique parasite, aux tables de nos restaurants, en passant par les médicaments, les champignons sont partout. Jusqu’au Jardin botanique de l’Université de Fribourg, où les représentants de ce règne à part entière, ni animal ni végétal, tissent leur réseau discret entre les fougères et rhododendrons piqués par la fraîcheur automnale.
«Ce qu’on appelle communément un champignon ne constitue en fait que le fruit du réseau mycélien, lequel demeure souvent invisible à l’œil nu», explique Alain Müller devant la vingtaine d’intéressé·e·s en ce matin piquant d’octobre, au Jardin botanique. Chef technique du pôle horticole du jardin et secrétaire de la Société fribourgeoise de mycologie, il anime une visite guidée en français le matin, tandis que son collègue biologiste Nicolas Küffer cicérone les curieux en allemand l’après-midi. Cette balade a lieu en marge de l’exposition Champignons-Pilze, dans la série «Biodiversité Fribourg», visible jusqu’au 23 février 2025 au Musée d’histoire naturelle de Fribourg. But de cette initiation: apprendre à mieux déterminer les champignons, alors qu’on dénombre près de 10’000 espèces en Suisse, du bolet à l’oïdium de la vigne.

A croquer avec modération

Le groupe emmené par le mycologue Alain Müller


Déterminer une espèce mobilise tous les sens. La vue bien sûr, mais aussi le toucher, l’odeur et la saveur. Sur les tables, Alain Müller dispose différentes espèces que le public renifle en écarquillant les yeux d’étonnement. Car le panel des odeurs étonne: du gaz d’éclairage pour des tricholomes, à la noix de coco pour un lactaire, en passant par la rave (mycène) ou l’anis (un agaric).
Concernant la saveur, le mycologue insiste, tous les champignons peuvent se goûter, mais «il faut impérativement recracher». Une participante, mordant dans une espèce toxique pour l’exercice, a tôt fait de le rendre dans son mouchoir tant il est peu savoureux. Toutefois, il ne faut pas se fier au goût d’un champignon pour en déterminer la comestibilité, continue Alain Müller. Certains, très toxiques comme l’amanite phalloïde, possèdent un goût agréable.
Si les comestibles se mangent, il faut les croquer avec modération, prévient-il. «Il faudrait se limiter à une consommation maximale de 150 à 300 grammes par semaines, car les champignons sont des accumulateurs de certaines substances nocives, notamment des métaux lourds.» De plus, l’Association suisse des organes officiels de contrôle des champignons, plus connue sous son acronyme allemand VAPKO, rappelle l’importance de faire contrôler le fruit de sa cueillette et de la cuire avant de la consommer.
Si l’humain consomme la chair de ces organismes mi-plantes mi-animaux depuis des millénaires, il trouve aussi au fil de ses cueillettes de quoi étancher sa soif de savoir. Mieux connaître ce monde-là suffit en effet à nourrir la passion de certain·es. C’est le cas d’Alain Müller, d’abord curieux des champignons pour les manger, il s’est pris au jeu.

Champions de la symbiose
«Lorsqu’on s’intéresse aux champignons, il faut savoir que beaucoup de choses ne se voient pas», a-t-il expliqué au groupe qui écoute avec intérêt devant un parterre de plantes vertes. Le 90 % des plantes mycorhizent, continue-t-il. Ce procédé consiste en une relation symbiotique entre les champignons et les racines des plantes. Les champignons ne produisant pas leur propre énergie comme les plantes par la photosynthèse, ils doivent donc s’allier.
Par la mycorhize, le champignon donne des sels minéraux à la plante en échange de son sucre. «Dans ce domaine, il reste encore beaucoup à expliquer. La mycorhize permettrait par exemple d’agrandir la capacité en eau de la plante ou encore de lutter contre les ravageurs», souligne Alain Müller. D’où l’importance de préserver les sols. Il faut ainsi privilégier le paillage, éviter de remuer la terre ou d’apporter des engrais minéraux. Le recours aux fongicides, censés lutter contre certains champignons parasites de la plante, peut aussi porter préjudice à la mycorhize.
Dans cet esprit collaboratif, des champignons nourrissent des liens privilégiés avec certaines plantes. A l’instar de ce petit-gris (Tricholoma terreum) que notre guide repère sous un pin, un arbre qu’il affectionne. Plus loin, c’est un bolet (Suillus viscidus) qui se plaît particulièrement sous les mélèzes. Si certains jouent les alliés, d’autres sont des parasites. Sans compter ceux qui font dans la liquidation: les saprophytes, aidants à la décomposition des végétaux.

Inspection d’une souche recouverte de champignons.

Effets du réchauffement climatique
«Sans ces champignons, pas de forêt», résume Alain Müller. A un endroit du jardin, il gratte un peu les feuilles mortes, pour déterrer un drôle de champignon, à la peau sombre, dure et lisse. Un Ganoderma carnosum, qui prospérait sur une souche enterrée et que les participant·es touchent à tour de rôle avec étonnement. Une nouvelle preuve de l’incroyable capacité de ces organismes à s’adapter à leur environnement.
Le réchauffement climatique, fait encore remarquer Alain Müller, influence également le règne fongique. Des champignons rares sous nos latitudes, comme l’amanite des césars, un comestible recherché, pousse de plus en plus chez nous. Parmi les autres thermophiles à pointer leur chapeau, une espèce toxique, le faux clitocybe lumineux (Omphalotus illudens) ressemble aux chanterelles et se retrouve de plus en plus dans le panier des cueilleur·euses.

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Pierre Koestinger est journaliste indépendant.

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