Au début de la seconde Intifada, Benoît Challand a vécu neuf mois en Palestine. Touché par l’intensité de la guerre qui secoue la région, le sociologue et historien viendra de New York à Fribourg pour nous livrer, le 8 avril prochain, les clés de lecture de cette tragédie sans fin.
Depuis le 7 octobre, est-il encore possible de débattre sereinement d’une question aussi brûlante que le conflit israélo-palestinien?
Le choc lié à la violence et à la brutalité des attaques du Hamas a vraiment changé la donne. Il était impossible de faire une analyse historique. Après quelques semaines, un espace de discussions a été créé, notamment dans le monde académique, mais cela varie beaucoup d’un pays à l’autre. Il est vraiment important que les médias et nos institutions organisent des débats et des séances d’information pour mieux comprendre pourquoi on en est arrivé à ce niveau sans précédent de violences et de destructions. Il est frappant de voir à quel point il est difficile de parler de colonisation pour Israël. C’est un fait avéré historiquement et juridiquement, mais de nombreux intellectuels qui ont employé ce terme ont été attaqués, souvent de manière virulente.
Vous avez effectué votre service civil et votre thèse en Palestine, comment est-ce que le conflit vous affecte?
Effectivement, par le biais de Médecins du Monde (MdM) Suisse, j’ai pu passer neuf mois à Ramallah, travaillant pour MdM et pour la plus grande ONG palestinienne active dans le secteur de la santé primaire. C’était au début de la seconde Intifada en 2001. Sachant comment le travail humanitaire et de santé de base est essentiel pour une population sous occupation militaire, la tragédie que l’on voit s’amplifier à Gaza me révolte. Comment peut-on empêcher l’arrivée de l’aide humanitaire dans de telles circonstances et mener une campagne de dénigrement contre l’UNRWA qui assure des services de base en dispensant éducation primaire et soins de base pour plus d’un million de Gazaouis? En tant que chercheur, je suis aussi effaré de voir la virulence envers les collègues qui se font attaquer pour avoir partagé leurs analyses ou par le fait que des chercheuses et des chercheurs israéliens ont perdu leur poste de travail pour avoir critiqué les décisions du gouvernement de Netanyahou.
A quoi sert l’approche historique qui est la vôtre pour comprendre le conflit?
Sans l’histoire, on tombe dans une caricature de la représentation du conflit qui ne serait que dû à des facteurs culturels ou civilisationnels. Non, c’est un conflit de nationalismes pour une terre commune qui a été alimenté par les tragédies propres à l’Europe (l’antisémitisme du 19e et 20e siècles qui a provoqué l’horreur nazie et la mort de six millions de Juifs européens). Lire les attaques du 7 octobre sans profondeur historique, comme si la violence n’avait commencé que ce jour funeste, équivaut à donner un blanc-seing à Netanyahou. Par contre, en relisant les temps longs du conflit, on comprend mieux les dimensions matérielles, symboliques et juridiques du conflit.
Le 26 janvier, la Cour internationale de justice a demandé à Israël d’empêcher des éventuels actes de génocide et de permettre la fourniture d’aide humanitaire à la population civile de Gaza. En vain?
Hélas la guerre contre Gaza continue. Mais la décision de la CIJ a déjà eu et aura des effets, car les motivations présentées par l’Afrique du Sud ont été en grande partie reconnues par la majorité des juges de La Haye. Concrètement, l’aide humanitaire n’arrive pas à Gaza, ou cela se fait au compte-gouttes, mais la coordination internationale pour casser le siège augmente de jour en jour, comme par exemple avec la résolution du Conseil de Sécurité du 25 mars.
Le droit international a-t-il encore son mot à dire?
Bien sûr. Comme l’histoire, c’est une boussole qui doit donner des cadres communs pour les acteurs internationaux. C’est d’ailleurs par crainte de plaintes que certains états ont commencé à être un tout petit peu plus critiques à l’égard d’Israël. Le droit international n’est pas parfait, mais il constitue un socle sur lequel bâtir des solutions plus justes, notamment le respect du droit humanitaire dans les conflits armés ou les cas d’occupation militaire.
Il y a un véritable fossé entre les pays du Sud et l’Occident dans le soutien à Israël? Comment l’expliquer?
On peut adopter une perspective historique pour expliquer ce fossé. Les pays du Sud n’ont pas oublié les dégâts faits par le colonialisme et la domination des pays du Nord. Ce n’est pas par hasard si c’est l’Afrique du Sud qui a porté le cas devant la CIJ. J’évoquais également la difficulté de reconnaître le caractère colonial des liens entre Israël et la Palestine: n’oublions pas que l’Afrique du Sud s’est aussi entourée, pour documenter le risque génocidaire à Gaza, d’avocats internationaux, dont une avocate irlandaise, Ní Ghrálaigh, qui a clôt la déposition auprès de la CIJ. Le passé colonial britannique en Irlande a donc pesé aussi, même si indirectement.
Peut-on imaginer une fin à ce conflit? Si oui, quelles seraient les solutions?
Il n’y aura pas de solution juste à ce conflit sans la fin de l’occupation militaire israélienne dans les Territoires palestiniens. Tout au plus trouvera-t-on des solutions provisoires, comme avec Oslo, dont le processus de paix était basé non sur le droit international et les résolutions du Conseil de Sécurité, mais sur un cadre ad hoc d’une reconnaissance asymétrique et de mesures incrémentales.
- Clés de lecture pour une histoire globale du conflit israélo-palestinien, 08.04.2024, 17h39, MIS 03
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