Les représentations et les usages des substances psychotropes évoluent dans notre société, bousculant au passage un cadre législatif qui paraît de plus en plus inadapté. Ces réflexions ont occupé les participant·e·s d’un colloque sur «les éco-usages des drogues», fin janvier à l’Université de Fribourg.
Bien souvent, on aborde la consommation de drogue par le prisme de ses dangers, à savoir ses conséquences juridiques et sanitaires ou comme cause d’addiction. Des réalités, parfois sombres pour les personnes concernées, qu’il ne s’agit pas de nier. Mais ne pourrait-on pas ajouter à ce tableau une considération plus positive sur la relation que nous entretenons à ces substances psychotropes, légales ou non? Car on le voit avec l’intérêt croissant pour les psychothérapies assistées par psychédéliques (PAP) ou la qualification récente du cannabis comme thérapeutique dans certains pays: les lignes bougent.
Les frontières entre déviance, santé, risques et bien-être deviennent floues, voire poreuses. Faut-il dès lors établir un nouveau deal sur l’encadrement étatique de la consommation des psychotropes? La question a occupé les participant·e·s à une table ronde, le 26 janvier à l’Université de Fribourg. L’échange, stimulant, concluait un colloque organisé par la Chaire de travail social et politiques sociales de l’Université de Fribourg, mais aussi la Haute école de travail social et l’Université de Genève, ainsi que le Groupement romand d’études des addictions (GREA).
Loi sur les stupéfiants à repenser
Sous l’intitulé «Les éco-usages des drogues: mieux comprendre pour mieux agir», cette journée proposait de porter une réflexion sur cette diversité des relations que les usagers entretiennent avec le produit. Intervenant à la table ronde, Frank Zobel, directeur adjoint d’Addiction Suisse, a pris l’exemple de la régulation du cannabis, montrant que le passage d’une logique prohibitionniste à une position anti-prohibitionniste a été un tournant. Même si aujourd’hui, on se trouve au-delà d’un bras de fer «pour» ou «contre». «Les discussions portent sur ce qui doit venir après», dit-il.
Frank Zobel est d’avis qu’il faut remettre l’ouvrage sur le métier. «Les lois sur les stupéfiants doivent aujourd’hui être repensées. A la base, il s’agissait de protéger la société contre ce qui était considéré comme des poisons, mais aujourd’hui, la connaissance que nous avons de ces produits et de leurs usages est différente. «Comment s’y prendre pour initier une telle refonte?» a demandé Jean-Félix Savary, animateur de la table ronde.
Dépasser le seul regard médical
Pour Laura Tocmacov Venchiarutti, co-présidente de l’association Psychedelos, qui soutient les patients recourant aux substances psychédéliques dans le cadre de thérapies, «aucune étude ne doit être menée sans le point de vue des consommateurs». Jean-Pierre Couteron, psychologue et ancien président de l’association française Fédération addiction, souligne quant à lui l’importance de dépasser le seul regard médical sur la consommation des psychotropes: «Il ne faut pas oublier que l’usage de drogues est profondément humain.»
«Comment dès lors, poursuit-il, sans être accusé de banaliser, peut-on expliquer qu’il n’est pas anormal d’être intéressé par ces produits?» Selon lui, il est important de montrer que les lois actuelles ne décrivent plus nos modes de vie par rapport aux psychotropes. Le spécialiste français plaide pour une approche globale qui intégrerait, par exemple, la question de l’intensité dans nos vies. Et de lancer cette question en forme de pique: «Devrait-on rembourser les frais de soins et de sauvetage d’une personne ayant pris des risques inconsidérés en montagne pour assouvir son besoin de sensations fortes?»
L’urgent, à entendre les intervenant·e·s, serait de commencer par porter un regard plus compréhensif sur l’usage de drogues et le rapport, plus ou moins proche, que nous entretenons avec ces produits. Il s’agit de sortir ces pratiques du ghetto des représentations sociales dans lequel on les a longtemps reléguées, sans pour autant faire dans la naïveté et l’angélisme. Une étape qui paraît essentielle pour une refonte pertinente des lois sur les stupéfiants.
Eviter de déshumaniser
Sans cette prise de conscience, le risque d’une déshumanisation est réel. «La présentation de Marie Jauffret-Roustide a très bien montré, en prenant l’exemple du crack, combien une image stigmatisante des consommatrices et consommateurs, relayée par les politiques et les médias, peut légitimer des formes de répression pourtant questionnante», a relevé en fin de rencontre Sophie le Garrec, co-organisatrice de la journée pour la Chaire de travail social et politiques sociale de l’Université de Fribourg avec Line Pedersen, lectrice.
Maîtresse d’enseignement et de recherche, Sophie le Garrec souligne l’intérêt de ce colloque. «Cela nous a permis de mieux saisir, qu’au-delà du produit et de ses catégorisations, les choix politiques et la compréhension des usages des substances représentent des enjeux cruciaux.»
- Chaire francophone de Travail social et politiques sociales
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