Le Festival de traduction et de littérature aller↔retour revient le 9 mars 2024 dès 10h30 à l’Espace Culturel le Nouveau Monde, à Fribourg. Créé par la Fondation ch en 2019, cette manifestation est unique en son genre, puisqu’elle est le seul événement littéraire public de Suisse exclusivement consacré à la traduction. Velia Ferracini, doctorante et assistante diplômée en Littérature française à l’Unifr, représentera le podium d’ouverture en compagnie d’autres professionnelles de la littérature suisse. Elles se pencheront sur les ponts indispensables que construit la traduction vers les autres régions linguistiques de notre pays.
Votre thèse de doctorat a un lien particulier avec le festival aller↔retour.
Absolument. Ma thèse porte sur la Collection ch, projet de l’institution Fondation ch qui a elle-même créé, en 2019, le Festival aller↔retour. L’enjeu de ma thèse est de présenter une autre vision de la littérature et porte sur l’étude historique et sociologique de cet objet, ainsi que la manière dont elle a proposé un renouvellement de l’image de la littérature suisse, jusqu’alors clivée en trois littératures bien distinctes, francophone, germanophone et italophone. La Collection ch soutient depuis 1974 la traduction d’ouvrages littéraires suisses dans les autres langues nationales.
Justement, la Collection ch fête ses 50 ans d’existence cette année. Pouvez-vous nous dire quelques mots à son sujet?
La Fondation ch a été prévue pour encourager les liens du fédéralisme entre les cantons, les discussions étaient donc essentiellement politiques. Petit à petit, la Fondation ch s’est rendu compte qu’il était également essentiel de promouvoir la culture pour favoriser les liens entre les cantons, indifféremment des langues. Plus précisément, l’idée était de diffuser la culture et la littérature au-delà des frontières linguistiques. La Collection ch est un objet qui a eu beaucoup d’influence dans la création d’une nouvelle image littéraire suisse et qui nous a permis à toutes et tous de découvrir de nouvelles et nouveaux écrivain·e·s. C’est malheureusement un objet peu étudié, voire pas du tout, car peu de monde en connaît l’existence. C’est, entre autres, pour cette raison que ma thèse porte sur la Collection et tout ce qu’elle apporte à la littérature helvétique. Elle compte aujourd’hui 338 titres traduits dans une ou plusieurs langues nationales suisses. C’est un paradoxe que cet organisme, qui est financé par l’ensemble des cantons et occupe une place primordiale dans le seul festival de littérature traduite en Suisse, ne soit pas davantage reconnu.
La traduction est-elle toujours aussi peu populaire?
Oui, la traduction est assez peu populaire, car elle est risquée; certains textes n’ont que très peu de résonance, tandis que d’autres explosent. La traduction est incontestablement un tremplin et donne une chance aux auteur·e·s dès qu’elle est mise en œuvre, mais économiquement parlant, c’est un risque pour les maisons d’éditions. En participant financièrement, la Collection encourage la diffusion des ouvrages des petit·e·s auteur·e·s suisses et participe à leur rayonnement à travers les régions. La traduction est un magnifique métier qu’il faut remettre en lumière et c’est du reste le cheval de bataille de la Collection ch et du festival aller↔retour.
C’est une première pour vous de représenter le festival de traduction. Quel sujet allez-vous animer?
Nous allons partager une table ronde avec d’autres professionnelles de la littérature sur les ponts que la traduction et la littérature peuvent créer vers les autres régions linguistiques. L’idée est de dialoguer sur toutes les difficultés que rencontrent la littérature en Suisse. C’est un milieu qui a relativement peu de soutien comparativement aux arts visuels et aux arts de la scène. Un des enjeux de notre discussion est de montrer le besoin de faire des liens entre les différentes régions linguistiques, de rapporter également l’importance de maintenir, pour notre identité, la littérature suisse.
Le thème principal de cette année est la transgression. Comment comptez-vous parler de ce sujet dans votre intervention?
Je préfère utiliser le terme de diversité, qui pourrait, par certains points de vue, pencher vers la marginalité. C’est un terme qui se rapproche de la transgression. L’idée est de souligner cette diversité, cette richesse des identités. Ça peut aller des voix féminines à l’identité de genre, de l’émigration à l’antisémitisme, etc. On ne peut pas dire que le terme de marginalité soit représenté par la Collection ch, mais elle met aussi en avant cela. Il y a là une volonté de transgresser l’image canonique de la littérature suisse. C’est également ce que je veux développer le 9 mars pendant le festival. La littérature suisse n’est pas seulement cette littérature réductrice agricole, telle qu’on a souvent voulu l’établir.
Et vous-même, que pensez-vous de la transgression dans la littérature?
Pour moi c’est essentiel. Dans mes séminaires, où j’ai abordé des thèmes tels que les génocides ou encore les troubles alimentaires, j’essaie toujours de me questionner au-delà des canons, sans les remettre en question bien sûr, car ils ont la nécessité d’exister. Mais en tant que chercheuse, je pense qu’il est important de donner une place à d’autres types de littérature, car elle ne se résume pas aux grands prix littéraires. Il faut mettre en avant d’autres écrits, peut-être plus marginaux, mais plus proches de la vie réelle des gens. Je ne remets pas en question les grands noms littéraires car je suis une passionnée, mais j’aime laisser la place à d’autres types d’ouvrages. Cette ouverture d’esprit et cette volonté de changer l’image de la littérature se reflètent également dans les enseignements au Département de français à l’Université de Fribourg, dont l’offre devient de plus en plus riche et variée.
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