A l’instar des célèbres sites mégalithiques de Stonehenge ou de Carnac, l’orientation de nombreuses églises répondrait à des critères astronomiques. Une hypothèse «iconoclaste» qu’Eva Spinazzè, chercheuse FNS à l’Université de Fribourg, s’évertue à démontrer.
Noël ne tombe pas un 25 décembre par hasard! La date choisie par les premier·ères chrétien·n·e·s pour célébrer la naissance du Christ correspond approximativement au solstice d’hiver, le point de l’année où, dans l’hémisphère nord, les jours se rallongent, «où l’espoir renaît», selon Eva Spinazzè. Il ne semble donc a priori pas tout à fait incongru de penser que les architectes des premières églises aient intégré certaines considérations astronomiques pour décider de l’orientation de celles-ci … et pourtant! Quand elle a osé émettre pour la première fois cette hypothèse, Eva Spinazzè est passée pour une «chercheuse ésotérique» aux yeux de certain·e·s de ses collègues: «Or, il n’en est rien, affirme-t-elle, en recourant à la trigonométrie et à des calculs astronomiques, je peux mesurer l’orientation de l’axe des églises et définir les jours où ils ont été le plus probablement tracés. Ce sont donc des observations objectives que je confronte à des sources historiques, ce qui me permet d’émettre des hypothèses sur les critères qui ont déterminé le choix de ces orientations.»
Trop chaotique pour être honnête
Eva Spinazzè est née à Zurich de parents artistes. «Mon père cherchait la lumière dans les couleurs, moi je la cherche dans les pierres», confie-t-elle poétiquement. Puis, c’est à Venise qu’elle décide d’aller étudier l’histoire, la philosophie, la littérature et l’archéologie. Quand elle évoque cette époque bénie, on voit des étoiles briller dans ses yeux: «C’était tout simplement la meilleure période de ma vie!» Presque fortuitement, en observant un plan de la Cité des Doges, elle note que chaque église présente une orientation différente. Elle se demande alors s’il y a une raison à cela, telle que l’orientation vers le soleil levant. Dans le cadre de son doctorat en archéologie, elle se met à creuser la question, mais la littérature scientifique reste peu ou prou muette sur le sujet, sauf en ce qui concerne l’architecture mégalithique. Elle décide alors de frapper à la porte d’Adriano Gaspani, un astrophysicien connu pour ses recherches en archéoastronomie, notamment sur les monuments mégalithiques et ses études celtiques. Loin d’être décontenancé par les intuitions d’Eva Spinazzèil l’encourage à poursuivre son analyse et à mesurer correctement l’azimut, l’angle indiquant la direction par rapport au nord astronomique.
Une recherche transdisciplinaire
Douée pour les mathématiques – discipline que ses enseignants l’encourageaient à embrasser – Eva Spinazzè mêle trigonométrie, calculs mathématiques et, surtout, sondages sur le terrain qu’elle complète avec des sources primaires et secondaires. «Souvent les chercheuses et chercheurs basent leurs études sur google earth. Or, une mesure imprécise de quelques degrés seulement peut complètement fausser les conclusions.» Et la chercheuse de prendre l’exemple d’une église dont l’axe avait été initialement mesuré à 90 degrés par rapport au nord astronomique, mesure qui laissait supposer une orientation en fonction de l’équinoxe. Des mesures plus précises ont toutefois montré que l’édifice était en fait orienté à 88 degrés, ce qui ne correspond plus à l’équinoxe astronomique, qui tombe aux environs du 21 mars et qui marque le début du printemps, mais au 25 mars. Et alors rétorquera-t-on? «Dans le calendrier liturgique, explique Eva Spinazzè, cette date correspond à la fête de l’Annonciation, quand l’Archange Gabriel annonce à Marie qu’elle sera mère de Jésus, le Fils de Dieu». Ce qui démontre que les églises n’ont pas été orientées au hasard ou uniquement en fonction des solstices ou des équinoxes, mais aussi en fonction de dates importantes pour les chrétien·n·e·s de l’époque.
Un travail de terrain par tous les temps
Se rendre sur le terrain est indispensable aux yeux d’Eva Spinazzè «Je dois impérativement prêter attention aux reliefs environnant l’édifice car leur distance et leur élévation déterminent le jour où le soleil ou la lune se lèvent ou se couchent.» Récemment, la chercheuse s’est rendue au fin fond de la Suisse, à Zillis, pour faire des mesures à l’église Saint-Martin. Le mercure y affichait -19°C, un froid si vif que son théodolite et son appareil photo ont très vite rendu l’âme. «Le temps de prendre trois clichés et il s’est malheureusement éteint, se remémore-t-elle» En revanche, quand elle inspecte une église située en milieu urbain, comme à Milan ou à Genève, la chercheuse doit se démener entre les trams, les bus et les camions pour trouver un point libre où poser sa mire et son théodolite.
Ancrer les églises dans l’espace
Selon la chercheuse FNS, 98% des 250 églises qu’elle a étudiées présentent des alignements en fonction de critères astronomiques: «C’est très facile en fait. Pour aligner un édifice avec le soleil ou avec la lune, il suffit d’avoir deux bâtons et attendre le jour choisi et tracer une ligne. Il n’y a même pas besoin d’effectuer de calculs.» Dans la cité des Doges, elle estime que plus de la moitié des 80 églises médiévales présentent une orientation qui correspond aux saints en l’honneur desquels elles ont été érigées. «Même la célèbre basilique Saint-Marc est orientée en fonction de Saint Théodore, le premier saint à qui elle a été consacrée!» Quant à l’église San Gorgio, les bénédictins l’ont orientée de sorte à ce que le soleil s’y couche à la St-Georges (21 avril) et à l’Assomption (15 août) quand le soleil revient. «C’est fantastique, conclut Eva Spinazzè, symboliquement, la terre est connectée au ciel, les églises ne sont plus perdues dans l’espace mais elles sont connectées à Dieu!»
- Eva Spinazzè
- Conférence le 17.04.2024, 17h15-18h45
- Image de titre: Basilique Saint-Marc, Venise. Crédit: Peter Zelei Images
- Crédit photos: Eva Spinazzé
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