Pas d’acharnement thérapeutique, mais…
This senior citizen gets comfort from his daughter as she holds his hand before surgery (that will later reveal cancer).

Pas d’acharnement thérapeutique, mais…

Alors qu’elle figure au cœur des directives anticipées, dont le respect par le corps médical est obligatoire en Suisse depuis 2013, la notion d’acharnement thérapeutique recoupe des réalités très différentes selon les individus, au point de créer des malentendus. Le point avec Clara Podmore, de l’Institut de médecine de famille de l’Unifr. 

«En cas de maladie ou d’accident graves, surtout pas d’acharnement thérapeutique!» Cette phrase, de nombreuses personnes ou membres de la famille la prononcent. Or, lorsqu’elles sont réellement confrontées à une situation de fin de vie, il n’est pas rare qu’elles choisissent de se livrer à un combat acharné contre la mort. Quitte à opter pour des traitements invasifs dont le succès n’est de loin pas garanti, voire qui, à l’inverse, pourraient provoquer des dommages. Ne fonce-t-on pas alors droit sur l’acharnement thérapeutique qu’on voulait absolument éviter?

A l’origine de ce paradoxe figure une délicate question de définition. L’acharnement thérapeutique, au fond, quésaco? «Il n’y a pas de définition absolue», avertit Clara Podmore. «J’irais même plus loin: considéré hors de son contexte, ce terme ne veut rien dire du tout pour les médecins!» La maîtresse d’enseignement et de recherche à l’Institut de médecine de famille de l’Unifr prend deux exemples. D’une part, celui d’un homme de 85 ans particulièrement faible hospitalisé pour une pneumonie, qui fait un arrêt cardiaque. «Même s’il a clairement exprimé son désir d’aller à l’hôpital et de faire l’objet de soins, une réanimation pourrait – si elle est évaluée comme déraisonnable par le corps médical – être assimilée à de l’acharnement thérapeutique.» A l’inverse, le choix d’une personne de 35 ans, mère d’enfants en bas âge, souffrant d’un cancer particulièrement agressif de subir une opération «de la dernière chance», tout en sachant que cette intervention présente un bilan bénéfices/risques négatif, «serait probablement considéré aussi bien par ses proches que par les soignants comme ayant du sens, même si, d’un point de vue purement médical, cela pourrait être assimilé à de l’acharnement thérapeutique».

Un acte tout sauf banal
Selon Clara Podmore, qui officie également en tant que médecin de famille au sein d’un cabinet de la région lausannoise, tout n’est pas à jeter dans le terme «acharnement thérapeutique». Pour une personne atteinte d’une maladie grave et/ou d’un certain âge, «il s’agit d’un bon point de départ vers une réflexion en profondeur sur ses désirs de fin de vie, ainsi que vers une discussion ouverte et éclairée avec ses proches et son médecin.» La généraliste le sait par expérience: «Une fois qu’on explique aux personnes âgées en milieu hospitalier qui affirment vouloir ‘tout’ faire pour rester en vie en cas de problème ce que ce ‘tout’ implique, la majorité d’entre elles changent d’avis.»

On touche là à l’épineuse – et centrale – question de la réanimation, associée à de nombreux fantasmes et à tout autant d’idées erronées. «La réanimation, c’est la mesure extrême, celle consistant – comme son nom l’indique – à réanimer une personne dont le cœur a cessé de battre.» Le massage cardiaque, qui est effectué en profondeur au niveau de la poitrine, «est une pratique qui n’est pas anodine, provoquant fréquemment des fractures de côtes.» Quant au manque d’oxygène dû à l’arrêt cardiaque, il peut entraîner des séquelles neurologiques. En milieu hospitalier, la réanimation est d’ailleurs obligatoirement accompagnée d’un séjour au service de soins intensifs. «Une recherche intéressante a exploré le niveau de connaissances du grand public autour du succès de la réanimation et est arrivée à la conclusion qu’il est bas», rapporte Clara Podmore.

Nouvelles obligations légales
Si elle n’est pas nouvelle, la notion d’acharnement thérapeutique semble avoir gagné en importance – ou du moins en visibilité – en Suisse ces dernières années. Il faut dire qu’elle figure au cœur des directives anticipées, dont le respect est obligatoire depuis l’entrée en vigueur en janvier 2013 du nouveau droit fédéral de la protection de l’adulte. Pour mémoire, cette réglementation prévoit que les dispositions thérapeutiques rédigées par une personne – notamment au sujet des soins qu’elle souhaiterait recevoir ou pas en cas d’accident grave ou dans la phase terminale d’une maladie – doivent être suivies par le corps médical si cette personne est devenue incapable de discernement. Le cursus de Master en médecine de l’Unifr comporte d’ailleurs un enseignement introductif sur les directives anticipées.

Plus récemment encore, la crise de la Covid-19 est venue renforcer la sensibilité à ces questions. «Dans le cadre de la pandémie, une pratique s’est étendue en milieu hospitalier, celle de demander plus proactivement aux patient·e·s à leur arrivée s’ils souhaitaient, en cas de besoin, être intubé·e·s, être réanimé·e·s, etc.». La collaboratrice de l’Institut de médecine de famille explique: «L’état des personnes atteintes d’une infection à Sars-CoV-2 se détériorait tellement vite qu’on craignait ne pas pouvoir les interroger, ne serait-ce que quelques heures plus tard, sur leur volonté en matière de soins.» Malgré l’apaisement de la crise sanitaire, ce questionnement systématique est demeuré et a même gagné en importance.

Disposer de directives claires émanant des patient·e·s, de leur entourage ou de leur médecin de famille constitue certes un outil précieux pour les soignant·e·s confronté·e·s à la nécessité de prendre, parfois dans l’urgence, une décision thérapeutique radicale. Cela ne les dispense pas pour autant de procéder à une évaluation de l’équité et de la pertinence des mesures en question. Cela ne leur évite pas non plus de faire l’objet, dans certains cas, du courroux des proches des patient·e·s. Il y a trois ans, la veuve d’un homme soigné au CHUV s’est ainsi retournée contre l’hôpital pour ne pas avoir respecté les directives anticipées de son époux et procédé à ce qu’elle considérait comme de l’acharnement thérapeutique. Clara Podmore comprend bien la révolte de cette femme. «Mais il faut souligner que du côté des médecins, il y a toujours une peur qu’on leur reproche de ne pas en avoir fait assez, de ne pas avoir sauvé une personne.»

Projet de soins anticipé
Malgré la popularisation des directives anticipées dans notre pays, «à l’heure actuelle, les patient·e·s hospitalisé·e·s en ayant rédigé sont encore minoritaires», souligne la médecin. Encore plus minoritaires sont ceux «qui ont eu le courage de briser le tabou avec leurs familles, de partager clairement et en toute sérénité leur vision de l’acharnement thérapeutique». Mais aussi, plus largement, «leurs souhaits dans différents cas de figure, par exemple celui de décéder à la maison à tout prix ou de vivre le plus longtemps possible». On parle alors de «projet de soins anticipé».

Le scénario idéal, selon Clara Podmore? «Régler le plus de choses possibles en amont, lorsqu’on est encore en forme; réunir ses proches et son généraliste – qui sera en mesure de clarifier les notions médicales – autour d’un café, dans une ambiance conviviale, et parler de tout ça sereinement.» Alors que de nombreux EMS exigent désormais que leurs résident·e·s aient consigné des dispositions de fin de vie, ces dernières «sont souvent rédigées à la va-vite lors de l’entrée dans l’établissement, qui est déjà en soi un moment hyper compliqué pour les patient·e·s et leurs familles». Même si parler ouvertement de la mort peut être douloureux, la doctoresse en est convaincue: «Le fait d’avoir pu discuter à l’avance et suivre des directives anticipées aide les familles dans leur processus de deuil.»

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Author

Journaliste indépendante basée à Berne, elle est née au Danemark, a grandi dans le Canton de Fribourg, puis a étudié les Lettres à l’Université de Neuchâtel. Après avoir exercé des fonctions de journaliste politique et économique, elle a décidé d’élargir son terrain de jeu professionnel aux sciences, à la nature et à la société.

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