La médecine intégrative, trait d’union entre deux mondes de la santé trop longtemps dissociés, a une place privilégiée dans le cursus médical de l’Université de Fribourg. Au-delà des traitements conventionnels ou complémentaires, le mode de vie d’une personne contribue aussi à sa santé. Comment faire, en tant que médecin, pour inclure cette notion dans ses prises en charge comme dans son propre quotidien? C’est le sujet du troisième et dernier article de cette mini-série.
Dans les sociétés occidentales modernes, les mœurs personnelles font rarement l’objet d’un suivi médical. Pourtant, elles influencent considérablement l’état de santé d’un individu, c’est pourquoi elles ont toute leur importance dans la médecine intégrative. Diana Walther, médecin spécialisée dans la prévention et la santé publique, est passionnée par la médecine du mode de vie. Cette discipline reconnaît la source comportementale de certaines affections et vise à les prévenir, gérer ou guérir en aidant les patient∙e∙s à mettre en place des changements durables dans leur quotidien. «C’est une approche holistique où l’accent est mis sur la santé et pas la maladie, explique la docteure. On ne s’arrête pas aux symptômes, comme cela peut malheureusement parfois être le cas en médecine conventionnelle.»
Pas aussi simple que ça en a l’air
S’il est bien connu qu’une alimentation saine, un sommeil régulier ou encore une activité physique suffisante favorisent notre bien-être, se débarrasser d’une mauvaise habitude ou adopter une bonne résolution peut s’avérer extrêmement difficile. «C’est là que le ou la médecin de famille peut jouer un rôle central en conseillant, voire en coachant son ou sa patient∙e», souligne la docteure Walther. Mais encore faut-il que le ou la clinicien·ne ait des connaissances dans ce domaine. «Nous ne sommes certainement pas assez formé∙e∙s à accompagner les patient∙e∙s dans leurs changements de mode de vie», explique Pierre-Yves Rodondi, directeur de l’Institut de médecine de famille (IMF). «Nous savons ce qui leur ferait du bien ou pas, mais cela reste difficile de trouver comment bien le leur transmettre», continue-t-il. En effet, un coaching adéquat en médecine du mode de vie requiert des connaissances en sciences du comportement, un savoir qui est étonnamment peu transmis dans la formation médicale classique.
Quand la société nuit à la santé
Pour ne rien arranger, le contexte sociétal moderne est loin de faciliter la transition vers un mode de vie plus sain, en particulier pour ce qui est de la consommation. «Il y a presque du sabotage de nos pratiques, déplore Olivier Pasche, vice-directeur de l’IMF, on autorise la publicité pour le sucre, le tabac, les boissons alcoolisées…». De surcroît, s’alimenter de manière saine et équilibrée coûte souvent plus cher que d’opter pour des produits flattant notre appétence pour les goûts sucrés ou salés. «Il y a quelque chose qui dysfonctionne au niveau de la société et, en tant que médecins, on est très impuissant∙e∙s parce qu’on arrive en bout de chaîne et on ne peut alors que constater les dégâts.»
Et justement, dans ce cadre culturel, modifier les routines individuelles et collectives est plus salvateur que jamais. «Nos modes de vie modernes causent énormément de souffrance et de maladies chroniques, dont un grand nombre est en fait réversible, même si on change notre mode de vie», reprend la docteure Walther. Bien que des efforts soient encore à faire dans la pratique, une prise de conscience semble heureusement vouloir opérer. «Il y a plein de petites mesures de santé publique qui ont été prises pour améliorer la santé de la population, relève le professeur Rodondi. Par exemple, beaucoup d’écoles ont changé les menus de midi en privilégiant des assiettes équilibrées.»
«Un style de vie, c’est une thérapie»
Parmi les habitudes de vie qui favorisent le bien-être, les hobbies ne doivent pas être sous-estimés. Au-delà des bienfaits physiques, de l’entraînement cérébral ou de la résilience au stress que peuvent engendrer différentes activités, l’aspect social des loisirs a ses propres vertus qui sont loin d’être négligeables.
Laurent Rochat, entraîneur de Taiji Quan et d’autres arts martiaux chinois, parle ainsi de la philosophie sur laquelle est basée l’approche médicale chinoise: «Une personne qui est bien équilibrée a bien sûr une activité physique, mais elle a aussi un environnement social. Donc pouvoir sociabiliser au travers d’une activité comme le Taiji Quan, c’est très important. Et ce n’est pas juste une question psychologique puisque, en médecine chinoise, psychisme et corps ne font qu’un. Donc en travaillant sur sa socialisation, on peut améliorer certains aspects physiques.»
Mais pour cet altiste amoureux de culture chinoise, la pratique d’un art martial comme le Taiji va même plus loin que cela: il s’agit d’un mode de fonctionnement à appliquer à tous les instants de sa vie. «Un style de vie, c’est une thérapie, déclare-t-il. Quand on change de style de vie, on va mieux!»
Prendre soin de soi pour mieux soigner les autres
Dans le meilleur des mondes, cette notion devrait s’appliquer non seulement aux patient∙e∙s, mais également aux soignant∙e∙s. «Normalement, un bon médecin chinois pratique à côté de sa profession au moins un art interne», explique Laurent Rochat. «On sait qu’être médecin n’est pas un métier forcément facile, rebondit le professeur Rodondi. Il faut s’occuper des autres, mais il faut savoir s’occuper de soi-même.» C’est peut-être là l’ultime prise de conscience à laquelle il espère conduire les étudiant∙e∙s en leur proposant des cours pratiques en médecine intégrative. Le stage d’une semaine organisé chaque année par l’IMF, notamment, est une précieuse occasion d’introduire les jeunes médecins à des disciplines qui pourront les aider à avoir une bonne qualité de vie le jour où ils et elles exerceront auprès de leurs patient∙e∙s.
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