L’exploration spatiale fait rêver des millions de personnes depuis des décennies. A l’occasion d’un événement exceptionnel «Meet your Future Employer: ESA – European Space Agency» à l’Université de Fribourg le 26 septembre 2024, l’astronaute suisse Claude Nicollier partagera son parcours fascinant et son regard sur l’avenir des sciences spatiales. En amont de cette rencontre, il nous parle de sa passion inébranlable, de la relève scientifique et du rôle crucial que l’espace peut jouer dans la compréhension et la préservation de notre planète.
Vous venez de fêter vos 80 ans (02.09.1944) et on vous retrouve en train d’essayer de susciter des vocations chez les plus jeunes? Qu’est-ce qui vous motive encore?
Ma fascination pour un domaine aussi attractif et passionnant que l’exploration spatiale, et pour toutes les techniques qui y sont liées, ne s’arrête jamais! Après ma sélection dans le premier groupe d’astronautes de l’ESA en 1978, j’ai été assigné au Johnson Space Center de la NASA à Houston, au Texas, et j’au eu la chance d’être très impliqué dans le programme de la Navette Spatiale, avec 25 ans d’activité dans ce centre, et quatre missions spatiales, dont deux vers le Télescope Hubble. J’ai travaillé avec des ingénieurs, des techniciens, des directeurs de vol, des spécialistes dans la salle de contrôle, des instructeurs, des spécialistes de médecine spatiale, et d’autres, tous très motivés par leur jobs et par les objectifs à atteindre pour chaque mission, chaque sortie extravéhiculaire. Vu le bonheur et la satisfaction que j’ai trouvé auprès de tous ceux et toutes celles qui travaillent dans le spatial, il est pour moi parfaitement naturel de tenter de susciter des vocations dans ce domaine auprès des jeunes écolier·ères, étudiant·e·s, et apprenti·e·s!
Pourquoi recruter pour l’ESA. Y a-t-il une crise des «vocations»? ou une concurrence trop vive d’entreprises privées?
Il n’y a pas de crise de vocations à l’ESA. L’Agence spatiale est solide et bien portante, avec toute une palette de programmes très intéressants. Travailler pour l’ESA est véritablement stimulant, avec une exposition constante à un milieu multinational d’une grande richesse. Pour les Suisses et Suissesses, cela signifie bien sûr travailler à l’étranger, typiquement aux Pays-Bas à Noordwijk à l’ESTEC, ou en Allemagne à Darmstadt à l’ESOC, ou en Italie à Rome à l’ESRIN, et d’autres lieux encore. Les places de travail à l’ESA sont très prisées en Europe, peut-être un peu moins en Suisse car les Suisses et Suissesses aiment bien rester dans leur pays! Mais je puis vous assurer que devenir un «Suisse ou une Suissesse de l’étranger» en travaillant à l’ESA, pour quelques années en tous cas, nous fait beaucoup de bien, et représente une formidable source d’ouverture et de satisfaction!
L’espace fait-il encore autant rêver les jeunes que dans les années soixante-septante?
L’espace fait autant rêver maintenant qu’à l’époque d’Apollo! Bien sûr, il n’y a plus cette grande émotion des survols de la Lune et alunissages du programme Apollo, entre décembre 1968 (Apollo 8 autour de la Lune) et décembre 1972 (Apollo 17, dernière mission du programme), mais il y a une grande multiplicité de missions spatiales de toutes sortes. Il y a ISS, la Station chinoise Tiangong, bientôt des vols habités en Inde, de nombreuses sondes lunaires qui se posent sur notre satellite. Il y a un prochain retour habité à la Lune avec Artemis, avec participation de l’Europe, du Canada, du Japon. Et il y a bien sûr Hubble, le Télescope Webb, Perseverance sur Mars, JUICE vers les satellites de Jupiter, EUROPA Clipper qui va bientôt partir pour explorer ce grand satellite de Jupiter, couvert de glace! A l’époque du programme Apollo, l’exploration de la Lune dominait totalement la scène spatiale. Maintenant, il y a une multitude de destinations et de projets, et une implication profonde et très positive de compagnies privées comme SpaceX. Pas de quoi s’ennuyer ou se plaindre!
A l’heure de l’urgence climatique, on entend parfois des critiques envers la conquête spatiale, dont celles de l’astrophysicien Aurélien Barrau. Qu’en pensez-vous?
Il n’est pas raisonnable de penser que les activités spatiales contribuent de manière significative aux dérives climatiques. Evitons d’utiliser le terme de «Conquête Spatiale» car on est à la conquête de rien. Il y a l’utilisation de l’espace pour les communications, la navigation précise, l’observation de la terre et de son atmosphère, et ces capacités ont amélioré notre vie sur Terre, pour tout le monde, de manière significative, au cours de ces dernières décennies. Et puis il y a l’exploration de l’espace, par des moyens habités ou robotiques ou automatiques, avec un objectif essentiel d’acquisition de connaissances sur notre monde, et de recherche scientifiques. Les satellites d’observation de la Terre et de son atmosphère contribuent à l’effort de surveillance de l’état de santé de notre planète. La teneur en CO2 de notre atmosphère est surveillée de manière précise. On mesure également la montée des eaux à l’échelle de la planète, pour mieux cibler les mesures qui seront bientôt nécessaires pour la protection, voire le déplacement des populations vivant à une hauteur proche du niveau local de la mer.
En ce qui concerne Aurélien Barreau, il est, pour l’essentiel, un activiste du climat. Il s’exprime de manière claire et forte sur nos erreurs de comportement contribuant aux dérives climatiques. Il a raison d’éveiller notre conscience sur ces problèmes. Monsieur Barreau est aussi astrophysicien. En tant que tel, on pourrait imaginer qu’il soit reconnaissant qu’on ait pu lancer GAIA, HUBBLE, et WEBB (et d’autres) dans l’espace. Ce sont de véritables trésors pour l’astrophysique, et il utilise certainement beaucoup de données de ces instruments pour son activité professionnelle, en dehors de son activisme du climat. Une critique de l’exploration de l’espace ne me paraît pas très honnête de la part d’un astrophysicien.
Marco Sieber devrait être le second suisse à aller dans l’espace. Est-ce important pour vous que le pays ait l’un·e de ses citoyen·ne·s qui le représente dans l’aventure spatiale?
Je connais bien Marco Sieber, pour l’avoir suivi (par Zoom) durant sa sélection par l’ESA en 2021 et 2022, et pour l’avoir rencontré à quelques reprises en Suisse, et plus récemment à Houston lors de son entraînement pour ses futures sorties extravéhiculaires. Marco est un jeune homme de grand talent et d’une belle qualité humaine. Les Suisses et Suissesses le connaissent peu car son entraînement est fait dans la plus grande discrétion avec une faible exposition au public. Mais cela va changer dans le futur, et il devrait devenir plus visible. Les Suisses et Suissesses vont l’adorer! Il va représenter l’Europe et La Suisse dans sa mission dans ISS que devrait être aux environs de 2028, si tout se passe comme prévu. Je suis convaincu que, par son talent bien reconnu, et sa personnalité, il va contribuer à rendre la recherche spatiale attractive auprès des jeunes et des moins jeunes, et il va motiver les écoliers, étudiants et apprentis de se lancer dans une carrière liée, de près ou de loin, à l’espace.
Que retirez-vous personnellement de ces rencontres avec les jeunes? Leur profil ou leurs questionnements ont-ils évolué avec le temps?
J’aime beaucoup l’interaction avec les jeunes sur les sujets de la science et de l’espace. J’essaye de les aider à découvrir un monde peu connu et extraordinairement attractif! Les questions des jeunes sur l’espace n’ont pas beaucoup changé avec le temps. C’est le plus souvent autour des impressions du vol spatial, l’apesanteur, et les vues de la Terre. L’isolement est aussi un aspect du vol spatial qui les préoccupe, bien que ce ne soit pas un problème en orbite basse, avec une vue constante de la Terre, et des communications normales avec la Terre. Pour les questions dans le domaine de l’astronomie, planètes, étoiles, comètes, et même galaxies ne sont pas très importants. Ce qui les fascine, ce sont les TROUS NOIRS!
Et si un bon génie vous permettait d’exaucer un dernier vœu dans le domaine de l’aérospatial, lequel serait-il?
Je voudrais donner la possibilité à ceux et celles qui me sont proches, à ma famille et à quelques très proches amis, de faire un vol dans l’espace, en orbite basse, un peu comme le vol récent de POLARIS DAWN, avec ou sans sortie extravéhiculaire. Leur choix!
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