Partager les connaissances chirurgicales et renforcer l’esprit de communauté pour améliorer la prise en charge des patient·es. C’est le but du congrès Colorectal THRIVE qui se tient du 30 mars au 2 avril à Fribourg. Nos questions à son organisateur Michel Adamina, médecin-chef du Service de chirurgie à l’HFR et professeur ordinaire en chirurgie générale à l’Université de Fribourg.
Comment vous sentez-vous au moment d’ouvrir cette édition 2025?
Serein et impatient. Le congrès est l’aboutissement de plusieurs mois d’efforts, consentis en plus du quotidien de la clinique et de l’université et portés par une vision. Il me tarde de lancer le partage d’idées et l’expérience conviviale qui sont au cœur de notre concept.
Qu’est-ce qui rend une telle rencontre si importante?
En 2024, la première édition de Colorectal THRIVE a dépassé nos attentes avec 759 participant·e·s, dont 548 présent·e·s sur site, venus de 5 continents. Ces chiffres confirment le besoin des chirurgien·ne·s de se retrouver dans un format qui favorise les échanges. Le congrès permet à des spécialistes d’apprendre ensemble de leurs expériences et des dernières innovations. Et avec plus de 36 heures et 70 présentations données, THRIVE a aussi une fonction de formation importante. Il permet de remplir près des trois quarts de notre formation continue annuelle, garante du maintien des compétences médicales.
En quoi Colorectal THRIVE 2025 se démarque-t-il d’autres congrès de ce type ?
Il se distingue par son côté humain, à savoir l’échange, l’ouverture et l’amitié. Cela au service d’une mission: promouvoir le partage des savoirs sans oublier tous les cœurs et les mains qui lui donnent vie. Des valeurs que vivent également nos orateurs et oratrices de renommée internationale. De plus, nous sommes organisés sur un modèle non-profit et nous réinvestissons nos revenus, par exemple pour faciliter la venue de chirurgien·ne·s des régions défavorisées. Le premier but, c’est d’évoluer comme communauté. D’où le mot thrive, qui invite à se mettre ensemble pour se développer. Le Covid a poussé universités et formations postgrades à mettre en place des prestations «à distance», mais le besoin de présentiel reste très net. On a besoin de ces échanges personnels.
La chirurgie colorectale attire-t-elle les spécialistes?
Oui, parce que c’est une chirurgie très polyvalente. Elle porte autant sur des maladies fonctionnelles banalisées, telles les hémorroïdes, que sur le cancer ou les fistules complexes. Le nombre de cancers et d’affections inflammatoires majeures comme la maladie de Crohn ou la colite ulcéreuse augmentent. Ces affections, qui sont liées à notre style de vie, demandent une prise en charge spécialisée pour optimiser les résultats. En termes de qualité, mais aussi de coûts.
Et pour le cancer?
Le cancer colorectal est le troisième à sévir le plus dans la population suisse, après celui du sein et du poumon. La bonne nouvelle, en revanche, c’est qu’aujourd’hui nous pouvons guérir la majorité des patient·e·s par une approche combinant chirurgie, oncologie médicale et radiothérapie: dans trois quarts des cas pour le rectum, et dans deux tiers pour le côlon.
Qu’est-ce qui explique cette amélioration?
L’oncologie médicale et chirurgicale a bien sûr connu des avancées, mais cela s’explique surtout par le fait que les prises en charge sont le plus souvent combinées et spécialisées, entre radiothérapie, chimiothérapie, immunothérapie et bien sûr la chirurgie. On opère aujourd’hui de manière plus personnalisée, parvenant bien mieux à enlever les tissus malades tout en préservant les tissus sains et les fonctions du corps. D’autre part, l’approche est aujourd’hui globale. Outre le ou la chirurgien·ne, la prise en charge réunit souvent un·e physiothérapeute, un·e nutrionniste et si nécessaire un·e travailleur·se social. Pour ma part, j’aime voir les chirurgien·ne·s comme des chef·fe·s d’orchestre, qui ne sont rien sans leurs musicien·ne·s.
Quelle évolution a connu la chirurgie colorectale ces 15 dernières années?
Depuis le début du 21e siècle, nous sommes passés d’une chirurgie abdominale qui laissait de grandes balafres à une approche qui ménage les fonctions en préférant de petites incisions. Cette chirurgie laparoscopique ou robotique a, lorsque combinée avec une mobilisation et une alimentation précoces, l’avantage de permettre un prompt rétablissement et donc un retour des patient·e·s plus rapide à la maison, et dans une meilleure forme. En moyenne, on compte quatre jours d’hospitalisation pour une intervention au côlon, et six jours pour le rectum. L’évolution technologique nous aide, mais elle ne fait pas tout.
Comment cela?
Le passage à la chirurgie minimalement invasive a permis le ménagement des corps, une meilleure vision et un geste opératoire plus précis. Mais au-delà des aspects techniques, l’approche globale a énormément évolué avec une prise en charge personnalisée, où nous prenons en compte les aspects humains et le chemin de vie des malades. Sur ce point également, le ou la praticien·ne est un élément majeur du succès d’une opération. Des études le montrent sans ambiguïté: le facteur humain est essentiel. Et justement, durant notre congrès, des présentations aborderont ce thème, tout comme celui de la résilience du ou de la chirurgien·ne.
Comment gère-t-on une telle pression au quotidien?
C’est une hygiène personnelle que chacun·e doit cultiver, même s’il est vrai qu’une idée prédomine encore malheureusement trop souvent: celle d’un ou d’une chirurgien·ne qui n’a pas besoin de se reposer, de manger ni de boire. A titre personnel, je me souviens d’une collaboratrice de salle d’opération qui s’était dite surprise que je prenne des pauses toutes les 3 ou 4 heures d’opération pendant des interventions complexes.
Votre congrès peut-il faire bouger les lignes sur ces questions?
Je le crois! Entre les différents impératifs du quotidien, les contraintes et les destins auxquels nous sommes confrontés, il en résulte souvent de la solitude pour le ou la praticien·ne. Face à cela, je vois notre congrès comme un remède, car le simple fait de se réunir et d’échanger dans un cadre ouvert et bienveillant est bénéfique. Il ne faut pas oublier que derrière chaque chirurgien·ne, on trouve une personne. Je le vois aussi dans la formation de la relève, un domaine qui me tient à cœur. Aujourd’hui, il s’agit de plus en plus de nous adapter au rythme de l’apprenant·e. Une vitesse d’apprentissage plus lente au départ ne préfigure en rien d’un échec de carrière. J’en sais quelque chose, si je songe à mes mauvaises moyennes de maths durant ma scolarité en comparaison avec mes titres académiques, notamment en biostatistique, 15 ans plus tard.
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