Publié le 07.02.2024

Réchauffement climatique: des archives glaciaires perdues à jamais


Il aura suffi de deux ans seulement pour que le glacier de Corbassière en Valais devienne pratiquement inutilisable pour l’étude du climat. C’est ce qu’ont révélé des carottages effectués dans le cadre de l’initiative Ice Memory, projet qui vise la sauvegarde de la mémoire des glaciers menacés.

«Perdu pour la science!», c’est en somme la conclusion à laquelle aboutit une étude menée par des scientifiques du Paul Scherrer Institute, de l’Université de Fribourg ainsi que d’autres institutions suisses et italiennes, au sujet du glacier de Corbassière. Alors qu’une première carotte extraite en 2018 par les scientifiques permettait encore de distinguer et d’étudier correctement les strates de ce glacier valaisan, une seconde prélevée en 2020 s’est, elle, avérée pratiquement illisible. En cause, la fonte accélérée de ces dernières années qui a définitivement fait perdre au glacier sa fonction d’archive climatique.

Plus on descend dans la glace, plus on remonte dans le temps
Les glaciers de haute altitude présentent un intérêt majeur pour l’étude du climat et de l’environnement des derniers millénaires. A plus de 4000 mètres d’altitude, là où la température ne dépasse que rarement la barre des zéros degrés, la neige s’accumule année après année sans connaître de phase prolongée de fonte. Aussi, chaque strate contient une foule d’informations. En étudiant les particules qui s’y trouvent piégées, les spécialistes peuvent déceler des épisodes de sécheresse, de précipitations accrues, d’incendies de forêt ou encore l’apparition des premiers polluants de l’ère industrielle. Pour lire ce passé, les chercheuses et chercheurs procèdent à des carottages dans les zones d’accumulation des glaciers, les strates les plus basses étant les plus anciennes. Les pertes de masse de ces dernières années viennent toutefois brouiller les pistes.

Un glacier qui fond, c’est une bibliothèque qui brûle
Dans le cadre de l’initiative Ice Memory, les scientifiques ont jeté leur dévolu sur le plateau sommital du glacier de Corbassière, afin de compléter les sites de carottes de glace existant dans les Alpes. Initialement, ils s’imaginaient que ce dernier allait permettre de remonter plus loin dans le temps que d’autres glaciers d’altitude déjà étudiés, comme celui du Col du Dôme sur le Mont Blanc ou celui du Col Gnifetti sur le Mont Rose. Malheureusement, l’équipe de scientifiques dirigée par Margit Schwikowski, directrice du Laboratoire de chimie de l’environnement au Paul Scherrer Institute, a dû déchanter, la fonte récente des couches supérieures ayant provoqué d’importants ruissellements d’eau vers les profondeurs du glacier. «Ce phénomène a lessivé les particules de substances comme l’ammonium, le nitrate et les sulfates. Emportés par les eaux, ces particules ont en quelque sorte souillé les strates inférieures du glacier, déplore Enrico Mattea, chercheur au Département des Géosciences de l’Université de Fribourg et co-auteur de l’étude, rendant illisibles les archives climatiques et environnementales du glacier de Corbassière.»

D’autres essais à d’autres endroits sur le glacier ont donné le même résultat si bien que les scientifiques ont dû interrompre l’expédition. Leur projet initial était de forer à 80 mètres de profondeur jusqu’au fond rocheux pour saisir toute l’archive du glacier qui remonte à plusieurs milliers d’années. «Nos analyses viennent de le confirmer: sur le glacier de Corbassière, nous sommes arrivés trop tard», conclut Margit Schwikowski.